Grand styliste du jazz moderne, maître de l'harmonie, soliste circonspect au phrasé tranquille, le New Yorkais Steve Kuhn est devenu octogénaire en mars. Voilà un excellent prétexte pour se rendre à son escale montréalaise aux côtés d'Aidan O'Donnell, contrebasse, Billy Drummond, batterie.

Entre autres standards au programme, There Is No Greater Love de Isham Jones, Two by Two de notre hôte, Emily de Johnny Mandel, Passion Flower de Billy Strayhorn (inspirée de Claude Debussy),  on en passe... 

À ce grand âge, cependant, il arrive que les mains ne suivent pas tout à fait les intentions de l'instrumentiste pour différentes raisons qu'on devine, il se peut que les accords et mélodies ne s'enchaînent pas dans la suavité souhaitée. 

Steve Kuhn, remarquez, n'a jamais été un grand soliste. On l'a toujours aimé pour ses qualités harmoniques, pour le raffinement  de ses choix compositionnels  ou des répertoires sélectionnés mais ... il  nous a déjà conviés à des concerts plus fluides que celui présenté hier au Monument-National, où se s'est précédemment produit un tandem français de sensibilité française, de surcroît virtuose :  l'accordéoniste  Vincent Peirani et le saxophoniste soprano Émile Parisien.

Rendons-nous donc à l'Astral afin d'y entendre pour la première fois en concert le pianiste Cameron Graves,  associé à la nouvelle scène jazz de Los Angeles, membre fondateur du collectif américain West Coast Get Down et proche collaborateur du saxophoniste vedette Kamasi Washington. 

Alors? Entre le jazz tranquille, un peu balourd, qu'on vient de quitter et ce à quoi on fait face,  il y a trois générations et quelques océans. 

Virtuose à n'en point douter, Cameron Graves est ici accompagné par Maximilian Gerl à la basse électrique et Michael Mitchell à la batterie. Deux monstres! Voilà que ces commandos nous balancent en pleine gueule un jazz très proche de l'esthétique métal. Voilà, en fait, le trio jazz le plus pesant de l'univers connu!  

Tout est chargé de testostérone, tout est joué hyper vite, tout est amplifié hyper fort, mais tout est parfaitement articulé, mélodiquement et harmoniquement impeccable. Dans le tapis du début à la fin, on vous l'assure. 

Avec des  titres comme Satania Solar System, The Lucifer Rebellion, The End of Corporatism, Planetary Prince, jamais un ensemble piano-basse-batterie d'allégeance jazz  ne s'est montré aussi hardcore que celui de Cameron Graves.  

Après la caresse, la claque !