Feist met tellement d'années entre ses albums et ses tournées que, d'une fois à l'autre, elle a tout le temps voulu pour se réinventer. Hier soir, au Festival de jazz, dans sa coquette robe jaune estivale, la chanteuse canadienne s'est métamorphosée en une rockeuse et, par moments, en une guitare héroïne qui prenait la pose devant ses fans massés au pied de la scène.

Le tourbillon qui l'a emportée depuis dix ans et auquel elle a abondamment fait référence hier l'a amenée à se produire dans à peu près toutes les salles qui comptent à Montréal, depuis le regretté Spectrum jusqu'au Métropolis en passant par l'immense Centre Bell. Elle est même montée sur la grande scène extérieure du Festival de jazz en 2013. Cette fois, elle a chanté à Wilfrid-Pelletier, mais la grande dame de la Place des Arts était devenue le temps d'un soir une boîte de rock dans laquelle les musiciens s'escrimaient dans la pénombre.

Que du récent, ou presque

L'idée n'était pas vilaine pour créer l'ambiance de recueillement/défoulement propice à l'écoute de toutes les pièces de son plus récent album Pleasure, dans l'ordre. Ce faisant, Feist allait se faire plaisir, un plaisir que partagerait son public, a-t-elle prédit en citant la chanson titre du nouveau disque. Les succès du passé viendraient plus tard, et quelques-uns seulement.

Feist a gagné son pari parce qu'elle a mis toute son énergie dans sa proposition audacieuse et qu'avec ses trois complices essentiels, elle a créé un univers musical dans lequel s'imbriquaient ces 11 nouvelles chansons que ses fans montréalais ne connaissaient pas toutes par coeur. Il fallait la voir sautiller sur place, triturer les cordes de ses guitares et pousser dans les hauteurs cette voix singulière qu'elle a.

D'autres qu'elle auraient peut-être abordé cette mission spéciale avec le sérieux d'un chercheur scientifique. Pas Leslie Feist. Entre ses chansons pas toutes hop la vie, elle faisait des blagues, et lançait quelques phrases toutes croches en français. Mais l'instant d'après, elle nous servait une fort belle et toute douce I Wish I Didn't Miss You, enrichie par les harmonies vocales de ses amis de scène, un atout qu'elle allait exploiter toute la soirée durant. Pendant Any Party et A Man Is Not His Song, elle a recruté sans trop de difficulté la chorale des spectateurs.

Le grand moment de ce premier segment du concert s'est produit vers la fin quand Feist et ses copains se sont donnés dans la chanson Century avec une intensité rock qui était belle à voir et à entendre. Par la suite, elle nous a servi quelques-uns des succès attendus (My Moon My Man, Sea Lion Woman, I Feel It All) en y mêlant des choses tout à fait dans le ton de la soirée comme The Bad in Each Other et How Come You Never Go There.

Finale légère

Au rappel, elle est revenue seule avec sa guitare acoustique nous faire le cadeau de Mushaboom puis de 1234, cette chansonnette à jamais associée à une pub d'iPod qui lui a servi de tremplin vers la gloire mais qu'elle a longtemps boudée avant une réconciliation prudente, qu'elle nous a joliment racontée.

1234, a-t-elle ajouté, illustre bien le chemin parcouru depuis dix ans. Hier, c'était avec Mushaboom une escapade légère bienvenue après une soirée aussi exigeante qu'enrichissante.