Dix ans jour pour jour après son premier passage à Montréal, Norah Jones a clôturé samedi à Wildrid-Pelletier la programmation en salles du 33e Festival de jazz, avec le dernier concert de la série Événements spéciaux TD.

TD, du nom du groupe bancaire, est le commanditaire principal du jazz au Canada tandis que l'adjectif «spécial» réfère ici au fait que la série présente des artistes - James Taylor, Melody Gardot, Tangerine Dream, Patrick Watson, Liza Minnelli et Seal - que l'on n'associe pas d'emblée au jazz. Cela ne cause pas plus de problème stylistique ici qu'à Ottawa, par exemple, où Norah Jones terminait hier sa tournée canadienne dans le cadre du Bluesfest.

Le problème vient du mot «événement». Il n'y a pas eu, samedi, d'«événement», dans le sens de «qui a quelque importance pour l'homme». Oh! Norah Jones est venue à Montréal «en personne», comme disaient les vieilles pubs de spectacles. Devant une salle comble de 3000 spectateurs de 20 ans plus vieux qu'elle, elle a chanté ses chansons, anciennes et nouvelles, avec sa superbe voix, accompagnée d'un band de quatre musiciens impeccables en tous points. Parfaits aussi les oiseaux d'origami que l'éclairage faisait voler au-dessus de la scène où on a successivement vu la chanteuse debout derrière un piano électrique à gauche, debout à la guitare au centre et assiste au piano acoustique à droite.

Souriante, Norah Jones a aligné les titres de Little Broken Hearts, son récent CD, chansons livrées comme sur le disque, un peu semblables  les unes aux autres dans la texture sinon dans le propos. Take it back ressortait du lot, avec sa finale incantatoire toute en retenue. Comme le reste.  À mi-chemin, on s'est dit «c'est comme rien, elle va ouvrir...»

Et Norah Jones, pro qui sait où elle est, remerciait dans les deux langues principales du pays Canada. Pas vraiment gênée, elle a réprimandé un zozo qui, dans la pénombre du balcon, s'était mis à beugler: «On est capable de faire mieux que de crier comme ça...» Une dame a crié Come Away With Me, la chanson-titre du premier CD de Norah Jones qu'elle a probablement acheté il y a dix ans, comme 25 millions de ses contemporains : «OK, mon amie, peut-être un peu plus tard...»

«Vous vous amusez au Festival de jazz?» Jusqu'ici, c'allait bien mais là, pour dire vrai, on a quasiment hâte que ça finisse ou bien qu'il se passe de quoi... Avec tous ces malappris qui photographiaient la vedette avec leur portable: «J'étais là!»

Vers 21 h 30, seule au piano, Geethali Norah Jones Shankar a interprété une chanson dédiée à son chien Ralph qui l'accompagne en tournée et qui, a-t-elle raconté, est allé visiter le salon VIP... Une manière de blues qui rappelait Norah Jones première façon. Ah...! Qu'a suivi Don't Know Why, son plus grand succès. Acclamations. «Merci d'être là.» Sinkin'Soon, la puissante Stuck, et Lonestar, magnifiquement country, dans laquelle le guitariste et le claviériste donnent encore leur pleine mesure. Mais c'est fini. Thank you! Merci! Ovation debout automatique de la foule montréalaise avant le «faux» rappel, celui qui aurait lieu de toute façon.

Dans sa belle robe à motifs floraux, une création de la Montréalaise Ève Gravel, Norah Jones est revenue avec sa guitare acoustique, entourée de ses musiciens, tous debout devant un micro unique, comme un orchestre de bluegrass. Contrebasse, petite caisse, guitare, dobro, accordéon: ce magnifique quintette a livré dans la plus parfaite harmonie Sunrise, Creepin'In, que Norah Jones a chantée sur disque avec Dolly Parton, et Come Away With Me, attendue depuis le début.

Musicalement très beau mais il manquait ce quelque chose, parlons sans crainte d'un je-ne-sais-quoi, capable de toucher le coeur de l'homme et de se graver dans sa mémoire.