Avec un tel attirail, une telle approche, une telle dégaine, Eivind Aarset pourrait fort bien être présenté à Mutek et se faire de nouveaux amis qui n'ont rien à voir avec les jazzophiles ouverts à ses propositions. Sauf la pratique de l'improvisation, en fait, le musicien norvégien explore une musique instrumentale hybride avec un argument rock proéminent. Du jazz? Hmm... pas vraiment.

À l'écoute de Sonic Codex, c'est-à-dire la matière principale au programme de ce concert présenté samedi au Gesù, matière extraite d'un album du même nom et lancé en 2007, on en vient à l'évidence que cette musique implique surtout de bonnes idées: vision éclairée de l'instrumentation hybride, réflexion poussée sur les propriétés texturales des instruments exploités, sens aigu de la théâtralité et de la dynamique sur scène.

L'instrumentation comporte deux batteries (Erland Dahlen, Welte Holte), basse (Audun Erlien), guitare électrique, profusion de pédales et gugusses électros, ordinateur portable (Aarset). Aux instruments joués en temps réel, Aarset ajoute d'épaisses couches électroniques, magma sonore devant lequel des images de synthèse sont projetées sur écran - qu'il était malheureusement impossible d'installer au centre, et donc impossible à visionner convenablement si on était assis sur le côté gauche de la salle.

Expérience audiovisuelle, donc, expérience à la fois numérique et instrumentale classique, une expérience comme on peut en vivre à Mutek, Elektra ou Akousma.

Eivind Aarset,en fait, s'inscrit davantage dans le design des sons que dans la composition de haut niveau. Un très bon niveau technique suffit à rendre viables ses propositions. Aucune virtuosité n'est vraiment nécéssaire à leur exécution.

Le contrepoint, la polyphonie, les mesures composées, les décalages rythmiques, les échelles à 12 tons sont parmi variables inhérentes aux musiques instrumentales dites sérieuses... et peu investies par Eivind Aarset. Sa formation technique est plutôt rock, prog rock, hard rock, space rock, noise, électro... ses rythmes sont binaires ou ternaires, sa culture n'en demeure pas moins vaste. Ainsi, les variations d'intensité de Sonic Codex peuvent évoquer des atmosphères calme et placide pour ensuite faire place à des grooves plus violents, plus sales, empreints de distorsion. On peut s'y voir bousculé... mais aussi y voir une certaine redondance si on suit le musicien norvégien depuis l'époque d'Électronique noire (1998), album visionnaire s'il en est.

En ce qui me concerne, Eivind Aarset me semble à la guitare ce qu'Erik Truffaz est à la trompette : un musicien relativement limité sur le plan technique, mais surtout un architecte paysager des sons. Atmosphère, atmosphère...