Peu après le début de son étonnant spectacle hier soir au Centre Bell, Helen Folasade Adu, mieux connue comme Sade, a dit au public montréalais qu'elle et ses musiciens allaient tenter de se faire pardonner leur longue absence de 18 ans. Ce qu'ils ont fait avec un brio remarquable pendant les deux heures qui ont suivi.

Oubliez le malaise éprouvé au Forum en 1988 et 1993 devant une chanteuse qu'on croyait incapable de bien s'exprimer dans un aréna et des musiciens trop discrets. Ceux qu'on a acclamés hier étaient carrément d'un autre millénaire même si le noyau dur n'a pas changé: le bassiste Paul Spencer Denman, le guitariste-saxophoniste Stuart Matthewman, le claviériste Andrew Hale et, bien sûr, la superbe madame Adu à qui on ne donnerait jamais ses 52 ans.

Ce spectacle était presque parfait : éclairages et projections d'une qualité rare, dont un amusant pastiche de film noir en guise d'introduction à Smooth Operator, costumes qui témoignent d'un goût certain, son d'une clarté impressionnante, musiques qui ont du nerf et qui flirtent même parfois avec le rock dans Skin, l'une des bonnes chansons du dernier album studio Soldier of Love, et Love Is Found, une nouvelle chanson légèrement arabisante tirée de la toute récente compilation The Ultimate Collection.

Bien sûr, la technique de scène a beaucoup évolué en près de 20 ans. Pourtant, malgré l'imposante machine de Sade, le Centre Bell ne m'a jamais paru aussi intimiste depuis le fabuleux concert de Barbra Streisand en 2006.

De toute façon, le triomphe d'hier tenait d'abord à la présence, au magnétisme et au talent de la chanteuse anglaise d'origine nigériane. On la savait suave, mais peu démonstrative. Or, voilà qu'aujourd'hui, elle bouge magnifiquement et se permet même des chorégraphies avec ses choristes masculins. En plus, sa voix a acquis une puissance et une assurance qu'on ne soupçonne même pas à l'écoute de ses disques.

Le public a également eu son mot à dire dans le succès de cette soirée mémorable. Il a accueilli Sade comme une princesse, lui servant des applaudissements nourris dès après la toute première chanson, Soldier of Love, et des ovations après la théâtrale Is It a Crime? et la dansante The Sweetest Taboo. Plus encore - appelons cela l'effet du Festival de jazz - les solos des musiciens ont  provoqué des bravos et les spectateurs enthousiastes se sont levés pour chanter et danser sur Nothing Can Come Between Us même si la chanteuse était partie changer de costume.

Sade a paru surprise et profondément touchée de l'accueil délirant de ce public auquel elle a dit quelques mots en français. Et on a bien vu que ses musiciens étaient tout aussi émus à la façon dont ils se sont embrassés et étreints juste avant le rappel.

En début de soirée, le crooner rhythm and blues John Legend a eu droit à un traitement exceptionnel: une heure complète pour s'exprimer, une scène dégagée et des éclairages et un décor bien à lui. Seule la sono était un peu approximative quand ses sept musiciens et trois choristes se mettaient de la partie. Legend a enchaîné chanson sur chanson, comme celui qui veut profiter au max du temps alloué. Mais après l'opération charme de Sade, il n'était plus qu'un vague souvenir dans la tête des spectateurs.

Si vous n'étiez pas des 11 796 chanceux qui ont applaudi Sade hier soir, je vous souhaite qu'elle ne mette pas 18 ans avant de revenir.