Lundi au Gesù, la grande Geri Allen a surpris quiconque ne savait pas l'instrumentation de Timeline, l'ensemble dont elle mène les destinées: piano, contrebasse, batterie et... claquettes!

Elle amorce avec Angels, composition originale qu'elle lie de brillante façon avec Soul Eyes, classique de feu Mal Waldron. La pianiste ménage ses effets, on a devant soi la circonspection et la subtilité des meilleurs. Lorsque les effets se dévoilent, la technique éblouit. Inventaire harmonique des plus vastes. Fluidité parfaite de la main droite, articulation idéale en haute vitesse. Qui plus est, impeccable soutien de la main gauche. Sens rythmique de grande tradition black.

Ses accompagnateurs ne sont pas les moindres: l'expérimenté Kenny Davis à la contrebasse, l'excellent Kassa Overall à la batterie... et un quatrième membre qui fera l'événement.

Fière de ses origines et de la trajectoire des siens en terre d'Amérique, Geri Allen a le souci de mettre en relief le savoir-faire artistique afro-américain. Dans cette optique, elle a choisi d'intégrer la danse à claquettes comme forme d'art actuelle, visionnaire, raffinée, et non comme le banal reliquat d'une culture révolue. Ainsi, elle a recruté le danseur Maurice Chestnut, véritable surdoué de cette pratique que son employeure transforme en percussionniste de haut niveau.

Cette claquette sidérale se manifeste à travers un enchaînement pour le moins spectaculaire -Philly Joe, composition originale en hommage au batteur Philly Joe Jones ou encore Lover Man, standard popularisé jadis par Billie Holiday et Charlie Parker. Ces superbes dialogues claquettes-batterie, claquettes-contrebasse, claquettes-piano ou claquettes-trio, auront tôt fait d'épater la galerie.

Et pour cause: difficile d'imaginer plus brillantes mitrailles dans un contexte jazzistique aussi contemporain et d'autant plus inspiré. Pour avoir assisté à maintes séances podorythmiques (musique trad québécoise, flamenco ou... films de Fred Astaire), je n'ai jamais assisté à un tel déploiement de virtuosité rythmique, gracieuseté d'une paire de pieds!

Lorsqu'elle a fondé une famille avec son ex, le trompettiste Wallace Roney, Geri Allen s'est faite plus discrète. Apparitions sporadiques... Puis on l'a revue briller avec Charles Lloyd pendant quelques années , d'où cette évocation du saxophoniste au rappel. Avec la cinquantaine, la musicienne a repris ce rôle de la leader, la grande interprète, la compositrice et l'improvisatrice. Rôle qui lui revient et qu'elle devra camper le reste de son existence. En témoigne ce très beau tableau de Timeline.