Après avoir accepté le prix Miles-Davis des mains d'Alain Simard, Stanley Clarke s'est dit chanceux d'avoir appris des Art Blakey, Dexter Gordon, Joe Henderson et Horace Silver et il a salué son frère Lenny White et son grand frère Chick Corea. Puis il a souligné qu'au moment où on recense une vingtaine de conflits dans le monde, le job de tous les artistes est de faire en sorte que la planète demeure cool. «C'est ce que nous faisons», a-t-il aussitôt ajouté.

Return To Forever s'est empressé de lui donner raison. Le supergroupe ne m'a jamais paru aussi soudé, aussi cool pour reprendre l'expression de son bassiste, que dans sa quatrième incarnation qu'il nous a été donné de voir et d'entendre hier soir à Wilfrid-Pelletier. En lieu et place de superhéros du jazz fusion qui auraient pu se contenter de tirer la couverture chacun de son côté, nous avions devant nous cinq musiciens dont le plaisir collectif était tout aussi évident dans la musique festive qu'ils produisaient que dans les sourires, les poignées de main et les accolades qu'ils échangeaient entre les longues suites instrumentales.

Tonnerre

Les spectateurs, auxquels le batteur Lenny White a dit qu'il les considérait comme des amis, étaient fébriles. Ils ont applaudi dès les premières notes de Medieval Overture servies par Corea puis Clarke et White se sont mis à l'oeuvre et le tonnerre s'est mis à gronder. Avec une aussi formidable section rythmique, les solistes avaient beau jeu. Ils auraient pu s'éclater dans toutes les directions pendant que le bassiste et le batteur gardaient le fort, mais l'heure n'était pas à l'esbroufe et à la performance individuelle, mais au jeu d'ensemble. Chacun des solos de Corea, du guitariste Frank Gambale et du violoniste Jean-Luc Ponty s'imbriquait dans une grande toile qui servait bien la composition.

Une toile dans laquelle le violon de Ponty - «un ami dont j'ai fait la connaissance en 1923», a dit Corea le taquin - a pris tout naturellement sa place. Ponty sert magnifiquement ce nouveau Return To Forever en ce que son instrument peut tout aussi bien dialoguer avec le piano, électrique ou acoustique, de Corea qu'avec la guitare de Gambale. En plus, il donne de nouvelles couleurs à ces compositions des années 70 et limite par sa présence les sparages à la guitare qui les alourdissaient inutilement.

J'en tiens pour preuve cette très belle intro piano acoustique/violon de Corea et Pony qui avait quelque chose d'organique, un qualificatif qui ne s'est pas toujours bien prêté au jazz fusion de RTF ni à la musique de Ponty quand elle baignait dans les synthés. Puis Clarke et White ont pris le relais et ont lancé Sorceress sur un beat lourd et bluesé sur lequel ont pu s'exprimer Gambale, Ponty et Corea.

Juste avant l'entracte, After the Cosmic Rain nous a tous mis en appétit pour la deuxième partie de la soirée. Après Ponty et Corea, le géant Clarke s'est lancé dans un solo mélodique à souhait qui s'est métamorphosé en une envolée pétaradante. Ébloui, le public s'est levé d'un trait pour faire une ovation aux cinq musiciens.