L'histoire de Charles Bradley est inspirante. Dès l'enfance, ce Cendrillon de la musique soul et rhythm and blues a connu l'enfer: les drames familiaux, l'errance, les petits jobs pour survivre. Mais il avait toujours cette passion pour la musique qui le poussera plus tard à imiter James Brown dans des clubs de second ordre.

Notre homme est aux abords de la soixantaine quand le fondateur du label Daptone lui fait enregistrer un premier album. Un public jeune et branché s'entiche de cet artiste authentique.

Puis le drame frappe, une autre fois. L'automne dernier, nous devions lui parler en prévision d'un spectacle à Montréal quand la nouvelle est tombée: Charles Bradley a le cancer. Son entourage ne semblait pas très optimiste; pourtant, c'est ce même survivant qu'on verra chanter ses tripes et danser sur la scène du Métropolis ce soir.

«J'ai eu un cancer de l'estomac et on m'a enlevé la moitié du ventre, nous raconte-t-il au téléphone entre deux spectacles de sa tournée avec son groupe, The Extraordinaires. Je ne suis pas encore totalement guéri, disons à 80 %, mais en avril, le médecin m'a dit que je pouvais recommencer à donner des spectacles pour voir comment je me sentirais.» 

«C'est un peu douloureux, mais j'aime ce que je fais. Quand j'étire mes muscles, ça fait mal, mais je guéris plus vite.»

Dès son retour sur scène, il s'est senti beaucoup mieux: «La salve d'applaudissements que j'ai reçue, c'était tellement beau. Je remercie Dieu de m'avoir donné une autre chance. S'il veut se servir de moi comme d'un instrument pour faire un monde meilleur, je suis d'accord.»

Ça peut sembler gros, prétentieux même, mais ce n'est ni l'un ni l'autre. Pour Charles Bradley qui, enfant, a connu la ségrégation dans le sud des États-Unis, la spiritualité est au coeur de tout, comme l'amour qu'il reçoit de son public et qu'il entend bien lui rendre. La veille de notre entretien, il avait remarqué un spectateur qui vibrait intensément tout près de la scène. Ça l'a marqué.

«Je ne peux pas faire semblant. Parfois, je suis épuisé, mais je sais que je dois leur donner un bon show. Je dois aller puiser au plus profond de mon âme et de mon coeur et leur donner tout ce que j'ai. Quand tu fais ça, tu ne penses plus à ce qui te fait souffrir.»

Réinventer Black Sabbath

Avant le cancer, Charles Bradley a vécu un autre grand choc: la mort de sa mère qu'il avait perdue de vue à l'adolescence, mais avec laquelle il s'était réconcilié par la suite. C'est la disparition annoncée de sa maman qui l'a poussé à enregistrer une version bouleversante de la chanson Changes de Black Sabbath, une ballade que les fans purs et durs du groupe de métal britannique trouvaient mièvre dans les années 70. Ozzy Osbourne a d'ailleurs écrit un mot à Bradley pour lui dire qu'il avait été profondément touché par sa version et qu'il n'aurait jamais pu en faire autant.

«Les paroles de cette chanson étaient faites sur mesure pour moi, explique Charles Bradley. Sinon, je n'aurais pas pu les chanter. Ma mère était très malade, on se parlait beaucoup et c'était comme si je lui faisais mes adieux en chantant la phrase "It took so long to realize that I can still hear her last goodbyes". Elle m'a toujours dit: "Mon fils, tu as toujours voulu être un chanteur, alors vas-y. Ce n'est pas le temps d'abandonner. Ne t'apitoie pas sur mon sort, je veux que tu sois fort."»

L'autre grande inspiration de Charles Bradley n'est nul autre que le Godfather of Soul, le regretté James Brown que sa soeur l'a amené voir au théâtre Apollo de Harlem alors qu'il était adolescent. Il ne s'en est jamais remis.

«Ce soir-là, j'ai vu un leader, un homme venu du côté sombre de la vie et qui n'avait pas eu de famille pour lui montrer la voie. Il a trouvé la vraie force à l'intérieur de lui et il a créé sa propre forme d'expression. Quand il est arrivé, les gens ont constaté qu'il apportait quelque chose de jamais vu. Je peux chanter du James Brown, mais je ne serai jamais James Brown. Par contre, il m'a appris à donner le meilleur de lui-même. La seule façon d'être un entertainer ou un musicien, c'est de se donner complètement.»

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Au Métropolis ce soir, à 20 h 30. En première partie: The Brooks.