Parmi les plus influents trentenaires sur la planète jazz, le batteur, compositeur et leader Mark Guiliana figure assurément dans le peloton de tête. De surcroît, tête chercheuse.

Depuis au moins une décennie, il s'exprime dans maints contextes ; on retient d'abord son excellent projet Beat Music, dont l'objet fut de resserrer le lien entre musique électronique et jazz nouveau. Dans la même optique, il a réalisé un duo électro-jazz avec Brad Mehldau, Mehliana, qui fut présenté à L'Astral il y a deux ans. Plus récemment, Guiliana fut de l'aventure Blackstar aux côtés du saxophoniste Donny McCaslin.

Et pendant qu'il participait à l'enregistrement de l'ultime opus de David Bowie, il a amorcé une phase insoupçonnée, exclusivement acoustique.

« Je raconte cette blague à qui veut l'entendre : pendant les 10 dernières années, j'ai essayé de convaincre quiconque que je n'étais pas un batteur de jazz. La plupart de mes enregistrements et projets étaient davantage liés à la sphère électronique. J'ai finalement senti que le temps était venu de faire autre chose, explique Mark Guiliana, joint chez lui à New York. J'adore le jazz, cette musique représente une part importante de mon langage. Je veux aussi m'affirmer dans ce contexte. »

Le premier opus du quartette sous la gouverne de Mark Guiliana, Family First, a été lancé en 2015. En plus du batteur, l'enregistrement réunit le pianiste Shai Maestro, le saxophoniste Jason Rigby et le contrebassiste Chris Morrissey, sous la direction de Mark Guiliana. Très occupé, Shai Maestro a été remplacé depuis par le superbe pianiste d'origine cubaine Fabian Almazan, que l'on a découvert chez Terence Blanchard.

Fin septembre, le quartette lancera Jersey, un deuxième album, qui comportera aussi des compositions de Chris Morrissey, du guitariste Rich Hinman et de David Bowie... pour les raisons qu'on imagine.

« Je ne savais pas exactement à quoi m'attendre au départ, mais ce projet acoustique m'a apporté beaucoup de bonheur, bien au-delà de mes attentes. Et c'est ce qui me maintient sur cette voie prioritaire. »

- Mark Guiliana

La décision conceptuelle de cette nouvelle direction repose exclusivement sur l'instrumentation.

« C'est la seule règle. J'ai choisi la plus courante des petites formations de jazz : saxophone, piano, contrebasse, batterie. Cela peut faire peur au départ, parce que de grands artistes l'ont mise de l'avant - A Love Supreme [de John Coltrane] est mon album préféré en ce sens. Mais on peut voir les choses d'un autre oeil : un petit ensemble acoustique permet encore tant de possibilités ! »

Comment travaille Mark Guiliania en ce sens ? À l'instinct, soutient-il.

« Je construis autour de formes proches des chansons. Mes compositions commencent au piano, j'essaie d'intégrer mes idées du moment et une chanson prend forme. Je ne pense à aucun style, mais bien à ce qui pique ma curiosité. Bien sûr, je m'assure que mes pièces seront excitantes pour leurs interprètes, c'est-à-dire qu'ils prendront plaisir à les jouer soir après soir. »

Dans cette optique, composer exige le respect des individualités impliquées dans l'exécution. « Je fais de mon mieux pour leur accorder l'espace nécessaire à leur expression propre à travers ma musique. Si les interprètes peuvent se réaliser et se surpasser en jouant ma musique, je suis comblé. Ce sont tous d'excellents musiciens qui peuvent prendre de meilleures décisions que moi, même dans le cadre ouvert que je leur suggère. »

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Au Gesù samedi soir, 22 h 30