En marche depuis l'aube de la décennie précédente, The Bad Plus s'amène une dernière fois à Montréal dans sa configuration originelle; le printemps dernier, le pianiste Ethan Iverson a annoncé qu'il quittait le fameux trio originaire du Minnesota afin de mener ses propres projets.

Iverson alimente actuellement un projet de duo avec le saxophoniste Mark Turner, il collabore avec le trompettiste Tom Harrell, compose pour la compagnie du chorégraphe Mark Morris... et termine son mandat avec The Bad Plus d'ici la fin de cette année. Soustraction, donc.

Jusqu'alors, ce trio semblait indivisible, mais... rien n'est éternel, et Iverson sera remplacé par Orrin Evans, pianiste brillant et prolifique, issu de la même génération (la quarantaine).

Que justifie cette démission? «Eh bien... après 17 ans, j'imagine qu'Evan voulait explorer d'autres avenues. Oui, tout est cool entre nous...», laisse tomber Reid Anderson joint à son domicile new-yorkais.

Le contrebassiste n'a pas envie d'en dire davantage, mais on ne sent pas d'animosité au bout du fil. Les trois membres fondateurs semblent en très bons termes. «Amis pour la vie», a d'ailleurs affirmé récemment le démissionnaire au portail WBGO.

Égalité

Ce changement de cap était-il vraiment souhaité par tous? Cela ne nous regarde pas. On peut toutefois s'enquérir du besoin de maintenir le nom The Bad Plus et d'en remplacer le tiers par un autre tiers. À ce titre, Reid Anderson se montre beaucoup plus affirmatif.

«Dave [King] et moi-même avons été impliqués au même titre qu'Ethan, The Bad Plus est notre groupe. Qui plus est, ce nom représente pour nous un symbole pour le jazz créé collectivement. Nous avons lutté ferme pour mettre de l'avant cette valeur, nous y croyons encore. Nous voulons conserver notre marque, nous voulons continuer.»

Le pouvoir partagé, souligne-t-il en outre, est rarement assumé publiquement dans la musique improvisée, mais...

«Le jazz est beaucoup plus coopératif qu'on ne le croit. Plusieurs grands musiciens officiellement accompagnateurs n'ont pas la part de reconnaissance qu'ils méritent, puisqu'ils sont souvent partie prenante d'une création attribuée au leader officiel de leur formation. Par exemple, jouer un standard est en soi un travail collectif et non le résultat d'une expression individuelle.»

Ainsi, The Bad Plus aspire à l'égalité sur tous les plans : exécution, improvisation, composition, direction artistique. «C'est pourquoi il nous semblait important d'avoir un nom de groupe.»

Le remplaçant d'Ethan Iverson, s'empresse-t-il d'ajouter, n'est pas un invité.

«Orrin se joint à un groupe, nous souhaitons que cette nouvelle association dure le plus longtemps possible. Il sera avec nous à la fin de cette année, nous avons déjà commencé à répéter avec lui. Nous enregistrerons un nouvel album avec lui, nous allons de l'avant avec cet incroyable pianiste, très original!»

Trois soirées montréalaises

Après la soustraction, l'addition... somme toute. Mais avant la soustraction, les fans de l'ancienne configuration auront droit à trois soirées montréalaises consécutives.

«La première, explique Reid Anderson, consiste à présenter notre propre musique, sans invités spéciaux. Nous n'allons pas nécessairement jouer la musique du dernier album, nous envisageons de présenter un amalgame de nouveau et d'ancien matériel. Nous décidons de tout ça peu avant le concert.

«Le deuxième soir, nous jouerons avec le saxophoniste Rudresh Mahanthappa. Nous avons convenu de présenter avec lui un concert orienté vers le répertoire du sax alto, soit son instrument : Charlie Parker, Lee Konitz, Ornette Coleman... Nous ne jouerons ni notre musique ni la sienne, tout en gardant l'esprit ouvert sur la façon de jouer les pièces au programme. 

«Pour le troisième soir, nous avons invité Kurt Rosenwinkel. Sa musique nous est plus familière, car il fut déjà notre invité. Il est un guitariste extraordinaire, il est pour nous une grande inspiration. Ainsi, nous jouerons quelques-unes de ses pièces et quelques-unes des nôtres..»

Et après? Changement de cap ou pas, Reid Anderson ne se sent pas à l'heure des bilans.

«Accomplissements? Étapes? Chapitres? Vous savez, j'ai plutôt l'impression que rien n'a changé. C'est comme prendre de l'âge, on ne le réalise pas même si cela se produit. À nos premières rencontres, nous avions fait des choix esthétiques conscients, ces choix sont restés valables pendant toutes ces années. L'entente des débuts est demeurée intacte, tant dans notre musique originale que dans le choix de nos reprises.»

On sait, effectivement, que la manière The Bad Plus a fait école. Non seulement le jeu collectif l'a emporté sur les solistes, mais encore la musique fut marquée par un minimalisme du jeu improvisé, par une grande diversité stylistique qui se manifestait aussi à travers les reprises, de Black Sabbath à Aphex Twin en passant par Igor Stravinsky, dont le groupe a procédé à la brillante réduction jazzistique du fameux Sacre du printemps.

«Nous nous laissons mener jusqu'à la prochaine question : que pouvons-nous faire avec cette pièce ou cette chanson? Au fond, nous sommes restés les mêmes. Notre évolution est plus inconsciente que consciente.»

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Au Gesù, ce soir (sans invités), demain (avec Rudresh Mahanthappa) et samedi (avec Kurt Rosenwinkel).