De l'avis de certains, sa contribution à l'avancement des formes jazzistiques est l'une des plus importantes depuis les années 80. Pour la majorité des jazzophiles, cependant, ses propositions demeurent absconses, de trop grande complexité, de très lente digestion.

Steve Coleman demeure malgré tout une très forte personnalité de la musique contemporaine impliquant l'improvisation et le patrimoine afro-américain. Et il reste assez influent pour remplir le Monument-National à l'occasion d'une de ses trop rares escales montréalaises.

Le saxophoniste alto, compositeur et improvisateur peut aujourd'hui compter sur une flotte de trois navires: le quintette Five Elements existe depuis 1981, le grand ensemble The Council of Balance depuis 1997, le sextuor Natal Eclipse depuis peu.

Le musicien de 59 ans revient ici sous la bannière Five Elements - le guitariste Miles Okazaki en est membre depuis 2008, le trompettiste Jonathan Finlayson, depuis 2000, le batteur Sean Rickman et le bassiste Anthony Tidd, depuis les années 90. Belle stabilité, donc.

Joint dans la région de New York où il vit, Steve Coleman en convient: «J'ai eu cette chance de garder longtemps mes musiciens, ce qui est rarement le cas dans le jazz. Rappelez-vous que Dizzy Gillespie et Charlie Parker, ces fondateurs du jazz moderne, n'ont joué ensemble que pendant deux ans. Ou prenez le fameux quartette de John Coltrane dans les années 60, soit avec McCoy Tyner, Elvin Jones et Jimmy Garrison: ça n'a duré que cinq ans!»

Cycles de création

Cela dit, l'esprit créatif de Steve Coleman ne serait pas aussi stable que ses orchestres, avec lesquels il a enregistré une trentaine d'albums.

«La croissance d'un artiste n'est pas constante; il peut vivre des périodes d'accélération et traverser des plateaux où les changements sont moindres.»

De son propre aveu, le compositeur a connu un premier cycle de grands bouleversements de 1985 à 1992. On se souvient de cette époque M-Base, un style polyrythmique et contrapuntique très singulier dont il était le concepteur et dont il développe encore aujourd'hui les fondements. Des musiciens associés à ce mouvement avaient fait leur marque par la suite, comme la chanteuse Cassandra Wilson et la pianiste Geri Allen - qui n'ont plus grand-chose à voir avec cette tendance.

Le musicien dit avoir vécu une autre période de turbulences de 1997 à 2002. En composant la musique pour grand ensemble The Sonic Language of Myth, il a alors entamé un nouveau cycle créatif, une nouvelle façon de ressentir et de percevoir le monde.

«J'étais au début de la quarantaine, je vivais une métamorphose intérieure que certains réduisent à cette idée de crise de la quarantaine. Ma pensée et ma musique s'en sont trouvées transformées. J'avais toujours été intéressé par la nature, les sciences et les mathématiques; je me suis soudain penché sur l'astrologie, la théologie et les philosophies anciennes, notamment indienne.»

Le triomphe de l'idée «pure»

Le cycle le plus récent de Steve Coleman est fondé sur l'idée de composition spontanée.

«Depuis environ cinq ans, j'enregistre directement mes idées pour ensuite les transcrire, explique-t-il. Je ne change à peu près rien par la suite. Je préfère une idée "pure" qui me vient à l'esprit, sans dialogue avec d'autres interlocuteurs ou considérations subséquentes.»

Cette optique n'est pas neuve, souligne-t-il. Jeune musicien, il en avait été le témoin éberlué en regardant travailler Thad Jones, Sam Rivers ou Cecil Taylor.

«Le grand batteur Max Roach m'a aussi raconté qu'il avait un jour demandé une pièce à Charlie Parker pour son prochain enregistrement. Bird a pris une serviette de papier et a écrit illico la pièce souhaitée par Max Roach: c'était Donna Lee, un des plus grands standards du bebop!»

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Au Monument-National ce soir, 20 h.