Sauf l'immense respect que l'on doit à Wayne Shorter, géant depuis son émergence chez les Jazz Messengers à la fin des années 50, interprète virtuose, improvisateur brillant, compositeur de génie, initiateur de styles jazzistiques, il faut dire les choses comme elles sont... du moins telles qu'elles furent mardi à la Maison symphonique : l'âge commence à rattraper le grand maître.

La qualité de son jeu s'en ressent malgré la pertinence encore tangible de sa musique en quartette. À 81 ans, que peut-il se permettre en tant qu'interprète ? Un des traits distincts de son approche au saxophone était l'atteinte de paroxysmes au terme de montées dramatiques. Malheureusement, le soprano n'atteint pas toujours la fréquence visée, le ténor peut manquer de tonus lorsque le contexte l'exige. On a souvent loué la verdeur du vétéran, encore alerte et précis jusqu'à récemment mais...

Wayne Shorter a beau ménager ses effets, certaines de ses interventions semblent hésitantes ou même erratiques. D'autres, fort heureusement, contribuent de belle façon à l'effort collectif de son quartette et donc à cette création en direct d'environ une heure et demie.

Une fois de plus, ce fameux ensemble nous conviait à la lecture d'un récit longuement improvisé et complété par l'interprétation de quelques thèmes composés. Récit parfois disparate, force était d'observer. Le pianiste Danilo Perez, le contrebassiste John Patitucci et le batteur Brian Blade ont beau constituer un des plus beaux alignements du jazz contemporain, ils ne peuvent accomplir de miracles chez les mortels. Tant bien que mal, ils doivent gérer l'état de leur leader, tant et aussi longtemps que la sagesse sera au rendez-vous.

À l'occasion d'une soirée spéciale pour célébrer son 80e anniversaire, il y a deux ans, Wayne Shorter montrait des signes de fatigue sur scène, mais pas assez pour qu'on s'en formalise. En comparaison aux fabuleux concerts donnés par son quartette depuis l'an 2000, la qualité de cette construction improvisée était légèrement en-deçà de ce à quoi on avait eu droit par les années passées : parmi les plus grands rendez-vous de l'histoire du FIJM, rien de moins. Or, mardi soir, la fatigue physique et l'essoufflement conceptuel étaient plus évidents. Ainsi va la vie, personne n'y échappe...

Les «risques élevés» de Dave Douglas

 

À L'Astral, le trompettiste américain Dave Douglas tentait l'expérience électro-jazz aux côtés du bassiste Jonathan Maron, du batteur Mark Guiliana et du DJ/réalisateur Shigeto : High Risk, tel est le nom de ce nouvel ensemble. Encore faut-il rappeler que, sur la planète jazz, peu de musiciens suggèrent de telles musiques hybrides qui n'ont pas l'air datées. On a généralement droit à une solide section rythmique funk/hip-hop et des solistes qui s'esbaudissent sur des clichés électroniques. Et on reste sur son appétit...

 

Dave Douglas est probablement conscient de ce cliché car il a choisi un bidouilleur électro qui lui fournit une matière d'aujourd'hui et non d'il y a cinq ou dix ans. Qui plus est, le trompettiste est un vrai compositeur, ses structures vont au-delà du groove, excellent au demeurant - Mark Guiliana y est pour quelque chose ! Si on ne peut conclure à une oeuvre achevée, on peut d'ores et déjà applaudir la démarche et s'attendre à une évolution probante du concept.

Snarky Puppy parti pour la gloire

 

Pour conclure la soirée, il fallait témoigner du très gros buzz à l'endroit de la formation américaine Snarky Puppy. Enfin, un groupe de musique instrumentale de fort niveau attire un public dans la jeune vingtaine, quoi qu'on pense de son approche. Mardi soir, le Métropolis était rempli à craquer de fans finis, excités au maximum par ce néo-fusion assorti de multiples influences du moment - groove, R&B, hip hop, indie pop, etc. Nul ne peut prédire l'avenir, mais il est permis d'affirmer que Snarky Puppy a réalisé un tour de force en imposant cette facture pour ainsi lancer une nouvelle génération sur la piste de la «mélomanie».