Vijay Iyer n'est pas le plus flamboyant des pianistes de jazz de la période actuelle, il n'en demeure pas moins l'un de ses concepteurs les plus brillants, les plus marquants, les plus visionnaires. En témoigne Break Stuff, paru l'hiver dernier sous étiquette ECM ; l'album met en relief la musique du fabuleux trio qu'il forme avec le contrebassiste Stephen Crump et le batteur Marcus Gilmore.

À Montréal, cela dit, l'interprète, improvisateur et compositeur américain ne prévoit pas faire mousser cet opus davantage que les précédents. Il y voit plutôt une autre étape d'un processus en continu.

« Pour chaque concert, explique-t-il lorsque joint à son domicile new-yorkais, nous puisons dans tout le répertoire, même si nous jouons une part importante de mon nouveau matériel. Ainsi, je vois chaque nouvel album comme le document de ce qu'on a créé. Nous ne nous produisons pas en concert pour en défendre un en particulier. Chaque concert a sa propre intention, sa propre logique, sa propre intégrité. »

« Bien sûr, nous jouerons chez vous de la musique de Break Stuff. Et il pourrait aussi y avoir de la matière inédite, comme c'est toujours le cas depuis les débuts », ajoute Vijay Iyer.

Très sollicité par les mondes du jazz et de la musique contemporaine, Vijay Iyer compose pour moult solistes classiques, orchestres de chambre, formations jazzistiques de différentes tailles. Par exemple, il écrit actuellement pour le violoncelliste montréalais (d'origine israélienne) Matt Haimovitz et pour la violoniste américaine Jennifer Koh. De plus, il sera bientôt en résidence au Metropolitan Museum of Art de New York, où il donnera plusieurs concerts la saison prochaine. Il compte aussi enregistrer cet automne avec le trompettiste de jazz Wadada Leo Smith.

Comment situer son trio dans ce tourbillon professionnel ?

« C'est mon projet le plus en vue. C'est en trio que je monte le plus souvent sur scène. Nous avons ainsi développé à trois une approche organique qui contraste avec les autres projets où il n'y a que moi d'impliqué avec la commande. »

Quant au leadership au sein du trio, il le voit dans la conception et non dans l'exécution. « Je compose ce qu'on va jouer, je choisis ce qu'on va jouer (y compris les standards et autres relectures). Or, la façon d'interpréter cette musique dépend de chaque musicien. Ainsi, la musique de ce trio se façonne d'elle-même. Nous n'en discutons pas particulièrement, nous la jouons. Le développement se veut organique, sans stratégie de jeu préalablement établie. »

REMPLACEMENT

On sait que l'identité d'un trio acoustique se mesure également à la stabilité de ses membres. Et lorsqu'un membre est remplacé...

« Pour le concert de Montréal, annonce Vijay Iyer, le batteur sera Tyshawn Sorey. Au cours de ma carrière, vous savez, j'ai joué plus longtemps avec lui qu'avec Marcus Gilmore ! Je m'estime d'ailleurs très chanceux d'avoir pu compter sur des batteurs extraordinaires, et Tyshawn est de ceux-là. Avec lui, j'ai enregistré quelques albums et j'ai joué des centaines de fois. Il est, selon moi, un maître, doublé d'un compositeur remarquable - il termine un doctorat en composition à l'Université Columbia. Ce n'est donc pas un remplacement, mais plutôt des retrouvailles ! J'ajouterais même que cet autre alignement a une autre identité. »

Quant aux accomplissements récents de son (ou ses) trio(s), Vijay Iyer les voit dans le détail et non dans les orientations de sa vision compositionnelle. Il en raconte l'étape. 

« Nous avions fait Accelerando en 2011 [étiquette Act], l'album est sorti au printemps 2012. Depuis lors, j'ai le sentiment d'avoir appris davantage sur mon instrument. Plusieurs tournées en solo m'ont aidé en ce sens ; ayant eu accès à des pianos de très grande qualité, j'ai pu découvrir de nouvelles possibilités, de nouvelles subtilités dans les touches, dans les timbres, etc.

« Cet approfondissement de l'instrument s'est inscrit naturellement dans l'enregistrement du dernier album, pour lequel nous avons eu une attention marquée pour les textures, les timbres, le son en général. Bien sûr, cet album était réalisé par Manfred Eicher et enregistré par James Farber pour ECM ; cela nous a également conduits à mettre l'accent sur les qualités sonores du trio. L'expression générale s'en trouve aujourd'hui transformée. »

Et l'angle indien ? Qu'en est-il ? D'origine tamoule, donc de l'Inde méridionale où prévaut la musique carnatique, néanmoins natif des États-Unis, Vijay Iyer ne tient pas systématiquement à mettre de l'avant son patrimoine ancestral. Quoique...

« Même si elle n'est pas évidente dans une majorité de mes enregistrements, l'Inde se trouve toujours dans ma musique. Certains concepts rythmiques de Break Stuff, par exemple, s'inspirent de la tradition carnatique. En bref, l'influence indienne se trouve partout dans mon travail. »

À nous de la trouver ! Autre processus en continu...

Au Monument-National ce soir, à 20 h, dans le cadre du FIJM.