Il y a dans l'album Hand. Cannot. Erase. de Steven Wilson des sonorités et des rythmes que reconnaîtront sans doute les amateurs de rock progressif. Rien d'étonnant de la part de celui que plusieurs considèrent comme l'héritier des groupes qui faisaient la pluie et le beau temps dans les années 70.

Wilson, lui, s'en défend bien: «Je n'ai jamais dit que je jouais du rock progressif. D'ailleurs, je n'aime pas cette expression qui n'a plus de sens. Est-il encore possible d'être progressif en musique au XXIe siècle? Je ne le crois pas.»

Toutefois, Steven Wilson ne nie pas que l'appellation rock progressif avait sa raison d'être à une autre époque.

«Il y a eu une explosion extraordinaire de musique ambitieuse faite en fonction d'un album, quelque part entre Sgt. Pepper et Pet Sounds, au milieu des années 60, jusqu'à l'époque punk-new-wave 10 ans plus tard, explique-t-il. Pendant ces 10 années, on a fusionné toutes sortes de musiques différentes et ça a créé un tout nouveau vocabulaire musical. Par la suite, il y a eu des trucs qu'on pouvait qualifier de progressifs, comme l'explosion de la musique électronique des années 80 et 90 et l'avènement d'artistes comme Aphex Twin, Massive Attack et Portishead. Mais il n'y a rien de progressif dans l'univers du rock et de la pop en 2015, dont le vocabulaire est établi depuis longtemps et qui n'a pas vraiment évolué depuis le milieu des années 90.»

L'homme s'y connaît en matière de rock progressif, lui qui a remixé récemment des albums classiques de groupes comme Yes, King Crimson, Emerson, Lake and Palmer, Gentle Giant et même Jethro Tull à la demande de ces pionniers du genre.

«Presque tous les disques que j'ai mixés sont pour moi intemporels, comme le sont les albums des Beatles, de Led Zeppelin et des Who, explique-t-il. Mais j'ai également mixé des disques de Tears for Fears, XTC et Simple Minds qui ont produit les équivalents de ces albums dans les années 80: des disques innovateurs, des chansons super bien écrites et une réalisation ambitieuse, bref, de vrais albums plutôt que juste un ramassis de chansons. Quelques-uns de ces albums ont pris des rides, mais l'essentiel du répertoire de ces groupes va vivre éternellement.»

Des musiques hybrides

Wilson rappelle que même s'il est commode de les regrouper sous l'étiquette du rock progressif, ces groupes des années 70 avaient souvent peu en commun, si ce n'est qu'ils innovaient à l'époque en créant des musiques hybrides.

«Emerson, Lake and Palmer prenait la musique classique et la fusionnait avec le rock, Soft Machine mêlait le jazz et le rock, Genesis puisait dans la musique traditionnelle anglaise et le folk tandis que Jethro Tull intégrait du blues et du jazz dans son rock. Ils étaient également plus intéressés par le concept d'un album que par le format d'une chanson pop de trois minutes. Mais aucun de ces groupes, qu'il s'agisse d'ELP ou de Genesis - je le sais parce que j'en ai discuté avec Steve Hackett - ne s'est jamais qualifié de progressif. Et ceux qui, aujourd'hui, font évoluer la musique d'album ou le rock conceptuel, comme Radiohead ou Godspeed You! Black Emperor, ne s'aligneraient jamais dans un courant aussi restrictif que le prog. C'est pourquoi j'espère que leur musique, et la mienne vont encore exister dans 50 ou 100 ans.»

Wilson se définit d'abord comme un artiste qui puise dans tout un registre de styles musicaux sans nécessairement innover. S'il touche un public grandissant, dit-il, c'est grâce à sa personnalité musicale.

«On peut prendre un vocabulaire musical surutilisé et le rendre original par la force de sa personnalité, explique-t-il. Je pense à Kurt Cobain et à Nirvana, qui était essentiellement un groupe métal de trois membres. Sur papier, ça n'avait rien de nouveau. Pourtant, par la force de leur personnalité, à partir de paramètres musicaux existants, ils sont arrivés avec un son tout à fait nouveau et ils ont changé la physionomie de la musique rock. C'est un peu ce que tous les artistes dont nous parlions tentent de faire, moi compris.»