Phronesis, feu Esbjörn Svensson Trio, Get the Blessing, Kairos 4Tet, Go Go Penguin, Neil Cowley Trio, Maxime Bender Quartet, Rémi Panossian Trio... Ces groupes de jazz ont des traits communs: tous européens, ils se fondent sur l'égalité des forces en présence plutôt que sur l'expression d'un soliste vedette. Puisque Phronesis, l'un des plus brillants de cette mouture, s'illustrera de nouveau à Montréal, penchons-nous sur son cas.

Fondateur de cet excellent trio anglo-scandinave dont le nom s'inspire de la philosophie grecque et désigne la sagacité (ou encore la sagesse pratique), le contrebassiste Jasper Høiby n'a pas d'explication limpide à donner sur ces caractéristiques (surtout) repérables dans le nouveau jazz européen. Il fournit néanmoins des indices.

«Je ne saurais trouver la source de ces similarités, mais, en ce qui me concerne, des enregistrements marquants m'ont mené à cette vision du trio. Le premier déclencheur fut un album enregistré en 1969 par le pianiste Chick Corea avec le batteur Roy Haynes et le contrebassiste Miroslav Vitous: Now He Sings, Now He Sobs. Les trois musiciens y atteignaient ensemble un niveau exceptionnel. J'étais adolescent lorsque j'ai écouté cet album pour la première fois. Je m'étais dit: "Wow, c'est incroyable! Je veux faire ça!"»

Inspiration anglaise

Cette propension au son plus collectif qu'individuel doit bien venir de quelque part... et ce quelque part est peut-être l'Angleterre.

«J'ai été assurément inspiré par la scène anglaise, car j'ai vécu 14 ans à Londres, souligne Jasper Høiby. En 2000, je me suis inscrit à la Royal Academy of Music où j'ai été formé par d'excellents professeurs. Je pense notamment à Barak Schmool qui, outre sa pratique d'enseignant, a favorisé en Angleterre l'émancipation du Fire Collective et du Loop Collective. Ces groupes à géométrie variable ont impliqué de nombreux musiciens de ma génération, qui ont ensuite essaimé sur les scènes anglaise et européenne.»

Les premiers albums de Phronesis, d'ailleurs, ont été lancés sous l'étiquette Loop Collective. Une décennie plus tard, les résultats dépassent largement les attentes initiales de Jasper Høiby et de ses collègues - le pianiste anglais Ivo Neame, qui vit à Londres, et le batteur Anton Eger, d'origine suédoise et norvégienne mais qui habite Copenhague, à l'instar de notre interviewé.

«Jamais je n'aurais pensé que nous serions même à mi-chemin d'où nous sommes actuellement!, s'exclame Jasper Høiby. Nous avons tourné partout dans le monde; nous avons beaucoup enregistré. Pour notre troisième album, nous avions travaillé avec le batteur américain Mark Guiliana, ce qui nous a valu plusieurs contacts. Nous avons alors trouvé un agent, et voyagé davantage.

«C'est très dur de sortir de son pays lorsqu'on fait du jazz, particulièrement aux États-Unis. Or, c'est ce que nous avons accompli.»

Chercher la cohésion

Au départ, Phronesis était sous la gouverne de Jasper Høiby; les premiers enregistrements étaient constitués exclusivement de ses compositions et puis...

«Progressivement, nous avons décidé de partager la composition. Ce fut chose faite à partir du quatrième album, à l'issue d'une transition naturelle. Chacun d'entre nous est désormais impliqué dans la création, au point de transgresser les rôles traditionnels d'un trio de jazz. Nous avons d'ailleurs de la nouvelle matière prête à enregistrer, dont nous jouerons certains extraits à Montréal.»

Cette conception égalitaire a-t-elle changé la facture de Phronesis? Il semble que non. «Notre musique a gardé le même esprit. Il faut dire que nous avons eu de nombreuses discussions sur ce que nous voulions accomplir en ce sens. Nous avons trouvé un terrain d'entente: Phronesis n'est ni un trio de piano, ni un trio autour de la basse, ni de la batterie. Nous cherchons une variété de sons, exprimés dans la plus grande cohésion possible.

«Les improvisations peuvent être individuelles, ou encore exécutées à deux ou à trois. Nous pouvons préconiser des formes simples, à l'intérieur desquelles nous trouvons des improvisations longues et complexes. Nous pouvons aussi rechercher un état méditatif en improvisant sans cesse sur un même schéma harmonique. De plus, nous sommes sensibles à l'interaction avec l'auditoire: l'ambiance qui règne dans une salle peut changer la musique qui s'y joue. Le groupe est conscient de ce qu'il a accompli et de ce qu'il reste à accomplir.»

Liberté, égalité... sagacité.

Au Gesù, samedi soir à 22h30 dans le cadre du FIJM.