Dave Brubeck a donné le dernier concert de son illustre carrière au Festival de jazz de Montréal, qui lui est dédié cette année. Ses fils Chris et Dan y reviennent rendre hommage à leur père disparu.

Dave Brubeck avait une relation privilégiée avec Montréal et son Festival de jazz. Il était le seul artiste qui y détenait une invitation ouverte. Ça vous dit d'y jouer cette année, M. Brubeck? Quand vous voulez!

«Sans Dave Brubeck, il n'y aurait peut-être jamais eu de Festival de jazz de Montréal», affirme le directeur artistique André Ménard au sujet de celui qui se produisait déjà à l'Expo-Théâtre en 1981, deuxième année du FIJM.

C'est également au Festival de jazz montréalais que le grand jazzman et compositeur a donné son tout dernier concert, le 28 juin 2011. «Sur le chemin du retour vers sa maison au Connecticut après le concert de Montréal, il m'a dit: «Ça y est. C'est fini pour moi»», a raconté au Toronto Star Russell Gloyd, son imprésario de longue date, à l'occasion de la mort de M. Brubeck, le 5 décembre 2012.

Ses fils Chris et Dan, musiciens depuis leur tendre enfance, ont repris le flambeau que leur avait tendu papa. Leur Brubeck Brothers Quartet mêle habituellement ses propres compositions à celles du paternel, mais demain soir, Chris (basse électrique et trombone), Dan (batterie), Mike DeMicco (piano) et Chuck Lamb (guitare) se consacreront exclusivement au répertoire du disparu.

Des quatre frères Brubeck - Michael, le cinquième, est mort quelques jours avant le concert de Dave Brubeck au Festival de jazz de 2009 -, Chris est celui qui a joué le plus souvent avec son père, sur disque comme en concert. Il se souvient d'une tournée de concerts en famille au Québec dans les années 70 organisée par Alain Simard et André Ménard avant même la création du Festival de jazz. Il n'a pas oublié non plus une répétition à Montréal il y a 15 ou 20 ans au cours de laquelle Dan et lui s'étaient mis à jouer l'immortelle Take Five sur un rythme funky à la façon des Meters, comme ils le font sur le dernier album du Brubeck Brothers Quartet, LifeTimes.

«Le saxophoniste Gerry Mulligan, un ami de la famille qui jouait avec mon père à l'époque, était un critique très sévère. Mais quand on s'est mis à jouer ce rythme, il était tellement heureux! Il s'est retourné vers mon frère et moi et nous a lancé: «Mais où étiez-vous donc pendant toutes ces années? «»

Mourir en tournée

Au Festival de jazz de 2010, Brubeck père a confié à Simard et Ménard qu'il reviendrait une dernière fois l'année suivante puis passerait le flambeau à ses fils.

«Il était conscient que c'était de plus en plus difficile pour lui, physiquement, raconte Chris. Il partait en tournée et retournait aussitôt voir son médecin parce que quelque chose clochait. Le prix à payer était devenu très élevé. Personne ne veut s'y résoudre, mais arrive un moment où il faut se rendre à l'évidence que ce n'est pas très sage de continuer comme ça.»

Tout petit, Chris Brubeck s'imaginait qu'un jour son père partirait en tournée et ne reviendrait pas à la maison.

«J'ai longtemps cru que mon père mourrait sur une scène quelque part dans le monde. Je m'y étais préparé parce qu'il lui arrivait de partir en tournée pendant trois ou quatre mois. Mais quand il est mort, la veille de son 92e anniversaire, c'est moi qui étais en tournée avec mon groupe Triple Play.»

«Le plus étrange, poursuit-il, c'est que chemin faisant vers la maison, on a annoncé les finalistes pour les prochains Grammy. Dans la catégorie Meilleure composition instrumentale, on avait retenu parmi cinq pièces sur les 380 soumises un morceau que nous avions écrit ensemble, mon père et moi (Ansel Adams: America). Il vient de mourir quelques heures plus tôt et j'apprends ça. Wow! Surtout que je l'avais écrit avec lui justement pour qu'il s'implique dans un autre beau projet. Donc s'il nous a tendu le flambeau, ce n'était pas uniquement comme musicien de jazz, mais aussi à titre de compositeur pour groupe de jazz ou pour grand orchestre, lui qui avait innové dans son travail avec Leonard Bernstein.»

Des invités montréalais

Le concert de demain sera unique parce que des musiciens montréalais se joindront pour quelques pièces aux frères Brubeck et à leurs deux complices: le contrebassiste Adrian Vedady, le saxophoniste Chet Doxas et la pianiste Lorraine Desmarais.

«On jouera donc quelques pièces différentes de celles qu'on joue ailleurs, explique Chris Brubeck. J'ai eu une belle conversation avec Lorraine qui m'a dit quelles pièces de mon père elle aimait particulièrement. On lui en a envoyé une que mon père a écrite plus tard dans sa carrière, For Iola, inspirée par ma mère. C'est une très belle pièce, qui fait beaucoup penser à Bill Evans. Il se pourrait également que les deux claviéristes, Lorraine et Chuck, jouent en même temps. Il y aura de la place pour la spontanéité dans ce concert.»

Hommage à Dave Brubeck, Théâtre Jean-Duceppe, ce soir à 21h30