Helen Merrill figure parmi l'élite des chanteuses de jazz, toutes époques confondues. Née Jelena Ana Milcetic de parents croates immigrés à New York, elle a aujourd'hui 82 ans et s'amène chez nous pour le plus grand plaisir de ceux qui auront le luxe de l'entendre et la voir de près.

Au téléphone, les signes ne mentent pas:  la répartie est alerte, la voix ne manque pas de tonus. À l'évidence, notre interviewée ne sera pas à l'Upstairs pour y faire de la chaise berceuse!

«Oui, je suis encore bien en vie! Malade ou en forme, ça ne fait plus aucune différence. Et tout va bien jusqu'à nouvel ordre. Je viendrai à Montréal quoi qu'il advienne», avertit-elle avant d'échapper un rire franc. On peut faire acte de foi; lorsque contactée il y a quelques semaines à son domicile new-yorkais, Helen Merril revenait à peine d'une tournée d'une dizaine de dates au Japon où elle chante régulièrement. Encore aujourd'hui, elle compte de très nombreux fans en Europe, en Asie, partout en Amérique.

Étrangement, elle s'est peu produite au festival de Montréal, d'où la petitesse relative de sa réputation dans cette île. Et, par voie de conséquence, de son invitation à l'Upstairs plutôt qu'au Théâtre Maisonneuve. «Vous savez, indique-t-elle, je ne chante pas souvent dans les clubs de jazz, je me produis dans des salles de concert, sauf exception: presque chaque année, je fais le Blue Note de Tokyo. Et je ferai l'Upstairs dont on m'a dit du bien.» Aux côté de la dame, un trio: Ted Rosenthal assurera au piano, Terry Clarke à la batterie, Pat Collins à la contrebasse.

Tant de jeunes chanteuses de jazz la considèrent parmi leurs modèles absolus. Le voile irrésistible de cette voix, ce timbre unique, la grâce de cette expression, la profondeur de cet art, voilà autant de

caractéristiques constitutives d'une artiste d'exception, qui a d'ores et déjà marqué l'histoire du jazz. Quiconque ne connaît pas encore Helen Merrill et aime le jazz vocal doit illico consulter sa discographie, amorcée en 1954 sous étiquette EmArcy et qui compte plus d'une quarantaine d'albums.

Pour elle, le voyage n'est vraiment pas terminé: «Je deviendrais désabusée et ennuyeuse si je devais me résoudre à me copier moi-même. Je continue donc de changer», estime la charmante octogénaire.

«Mes enregistrements le démontrent: les rencontres y sont très diversifiées. À chaque période de ma carrière, j'ai écouté mes musiciens avec beaucoup de soins et d'attention. Je n'aime pas l'idée d'être accompagnée, je veux faire partie du groupe. Ainsi, j'essaie de m'inspirer de mes rencontres avec de nouveaux instrumentistes et l'esprit de renouveau qu'ils m'apportent. Jusqu'à nouvel ordre cela a très bien fonctionné pour moi. J'aime savoir avec qui je chante, qui je chante et pour qui je chante.Et je souhaite la même chose aux jeunes chanteuses, c'est-à-dire travailler avec ceux qu'elles considèrent les meilleurs. Lorsqu'un musicien n'a pas la formation ou le talent, cela me distrait, cela me perturbe. C'est par nature que j'essaie d'aller plus loin. Je cherche peut-être à faire des tubes haha!»

L'étoile d'Helen Merrill brille dans la constellation du jazz moderne mais... un télescope peut être nécessaire pour l'identifier. Connue des spécialistes et musiciens, elle n'a pas eu ce rayonnement qu'ont eu les Billie Holiday, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Nina Simone, Peggy Lee... Elle ne s'en désole aucunement: «Il faut répondre à ta propre passion, suivre ta propre voie. Bon gré mal gré, je me suis efforcée de rester honnête avec moi-même. Cela m'a toujours menée à quelque chose de neuf.  Je n'ai cessé de changer, un petit peu à la fois.»

Le grand âge n'est pas un frein à l'évolution, force est de déduire. Où en est Helen Merrill?

«Aujourd'hui, je me sens plus impliquée avec la poésie. J'y vois un processus naturel et spontané. Mon expression est aussi influencée par ma propre vie, par ce qui l'a marquée. Lorsqu'un interprète chante avec de la profondeur, on peut ressentir l'existence qu'il a eue. Le contexte de cette vie est aussi ressenti : nous traversons actuellement une période difficile, une période froide. Cela s'entend.»

Helen Merrill à l'Upstairs, mercredi et jeudi, à 19h et 21h45.