La population espagnole de Montréal a explosé en nombre, dimanche vers 16 h 30, quand l'équipe d'Espagne de soccer a écrit une page d'histoire en devenant la première formation nationale européenne à réussir, en l'espace de quatre ans, la séquence Euro-Mundial-Euro.

Aux Montréalais d'origine espagnole qui chantaient «¡Yo soy español!» - «Je suis Espagnol!» s'ajoutaient les «naturalisés» du jour, toujours prêts à arborer le maillot du champion, quel qu'il soit : ils auraient mis leur bleu si l'Italie avait gagné. À côté de tous ceux-là encore, il fallait aussi compter les vrais, les Espagnols en visite, comme les gens de la troupe Flamenco Hoy ! qui donnait dimanche soir au théâtre Maisonneuve le dernier de ses cinq spectacles.

Parlons de joyeux troupiers! Et voraces! À 3-0, la victoire déjà acquise depuis une mèche, les plus criaient «Cuatro! Cuatro!» Ils en voulaient un quatrième et ils l'ont eu. «C'est l'Histoire qui s'écrit. On dirait Play Station», a lancé à La Presse le danseur Andoitz Ruibal en commentant le jeu flamboyant de la Roja - la Rouge -, surnom de l'équipe espagnole.

Dans les coulisses du Théâtre Maisonneuve, où les techniciens du Festival de jazz avaient installé un écran, les «Olé!» ont vite fusé, comme à la corrida, la troupe menée en cela par le producteur Julio Marti, un monsieur qui parle plus vite que son ombre et plus fort que Stentor. «Piano, Julio!», lui répétait le directeur technique Carlos Osuna, conscient que Chris Botti et ses musiciens (qui se produisaient à Maisonneuve après Flamenco Hoy! ) faisaient leur balance de son à 20 pieds de là. «Nous terminons un merveilleux séjour à Montréal!», nous a dit Señor Marti qui n'en est pas à sa première visite. «En tournée, d'habitude, on trouve nos marques le premier soir et, à partir du deuxième, c'est stable. Mais ici, chaque soir, la troupe a surpassé sa performance de la veille. Nous sommes comblés.»

«Tout était impeccable», nous dira pour sa part en espanglais le chef-éclairagiste Humberto Osuna en citant la qualité de l'organisation du Festival et de son personnel technique. «À New York, ce sont des pros aussi mais, comment dire? C'est moins chaleureux...»

Le guitariste Antonio Rey, lui, se rappellera par contre s'être fait traiter de «sale Gitan», dimanche soir au coin de St-Urbain/Ste-Catherine. Dimanche, toutefois, il semblait avoir oublié: «Campeones de Europa!», répétait ce magnifique guitariste flamenco que l'on peut découvrir par le CD A través de ti.

Tout le monde, toutefois, n'a pas la même passion du futbol... En tournée, les jours de spectacle, les danseurs de Flamenco Hoy ! ont une classe de ballet classique à 16 h. Euro ou pas. Dimanche, la classe coïncidait avec le début de la deuxième demie de la finale et le bruit des coulisses a eu l'heur de déplaire au chorégaphe et danseur-étoile Nani Paños. La tirade a été brève et n'a laissé aucun doute sur l'humeur du monsieur. La Presse, habituée à se concentrer sur l'essentiel, a saisi le mot-clé : «Trabajar». Travailler. Comme dans «Nous autres, on est ici pour travailler!» Dans la minute, la télé était rendue dans la cuisine des techniciens et le ballet (sur gazon) reprenait ses droits au milieu du personnel non-danseur de Flamenco Hoy !

Et ça criait! Et ça chantait! Des chansons qui feraient dresser les cheveux à nos soccer moms : «Nous, on a une chouette équipe et, enfin, des hooligans pour nous applaudir!» «Balotelli (ndlr: l'attaquant-vedette italien) est un plongeur! Regardez-le-moi plonger comme une fillette! Notre gars est allé pour la pelota, c'est tout!» «L'arbitro portugués n'aime pas les Espagnols, ça paraît!»

Parfois, les partisans du Real Madrid et de la Barça (Barcelone), les deux grands clubs de la Liga espagnole, s'envoyaient des pointes qu'avait la gentillesse de nous traduire notre ami Carlos qui gardera, lui, un autre grand souvenir de Montréal : le concert de Stanley Clark, son jazzman préféré, avec Marcus Miller et Victor Wooten, qu'il a écouté de la coulisse samedi soir. «Toute ma vie, je vais me souvenir de cette soirée!»

Et que dire de l'après-midi du dernier show où tout le monde, sauf le maître de ballet, chantait «¡Yo soy Español!»