Esperanza Spalding devait jouer depuis une quarantaine de minutes quand je suis arrivé au Métropolis après le concert de Melody Gardot, vendredi. La belle chanteuse et bassiste à la coiffure afro était lancée dans une improvisation libre sur le thème des relations de couple, des ménages à trois et tutti quanti. Mademoiselle s'épivardait et ne donnait pas l'impression de vouloir replonger de sitôt dans les chansons de son album Radio Music Society que nous étions venus entendre.

Il m'a fallu une bonne dizaine de minutes pour m'adapter à cet opéra-jazz décontracté voire un peu brouillon en comparaison de la mécanique précise de l'autre musicienne et chanteuse de 27 ans qui venait de séduire Wilfrid-Pelletier. Pendant l'heure qui a suivi, j'ai goûté de plus en plus cette performance libre et touffue tout à fait conforme à la personnalité de la jeune dame avec qui j'ai causé deux fois au téléphone.

Plus la soirée avançait, plus ça se resserrait et plus le public embarquait. La vedette, tout à fait relaxe, passait en se dandinant de sa basse électrique à sa contrebasse qui se mariait joliment aux notes aiguës qui sortaient de sa bouche.

Elle nous a joué dans le désordre la plupart des chansons de Radio Music Society, solidement appuyée par son trio et par les sept souffleurs qu'elle avait recrutés dans son demi-big band. Le tromboniste costaud Jeff Galindo a pris un solo allumé pendant Crowned & Kissed. Pendant Black Gold, le chanteur Cris Turner, caché parmi les cuivres, a vigoureusement relancé sa patronne qui, telle une prédicatrice, le haranguait sur le thème de la fierté afro-américaine avant de lui prescrire un peu de médicine pour l'âme.

Esperanza-la-crooneuse a dédié Cinnamon Tree à la femme de Wayne Shorter qui, à l'heure qu'il était, avait sans doute déjà quitté le Métropolis pour aller applaudir son saxophoniste de mari au Théâtre Maisonneuve. Elle a enchaîné avec une composition marquante de Shorter, Endangered Species, sur laquelle elle a couché des paroles inspirées par une excursion dans la forêt amazonienne. Le public du Métropolis a vraiment goûté le solo de trompette sur la batterie en folie de Lyndon Rochelle.

Après Radio Song, pendant laquelle les spectateurs ont préféré taper des mains plutôt que de chanter comme elle le leur demandait, Esperanza Spalding a donné congé à ses musiciens le temps du rappel. Elle a empoigné sa contrebasse et a chanté Precious, un extrait de l'album Esperanza qu'elle était venue nous présenter à son tout premier concert au Festival de jazz en 2009. Un moment d'intimité fort apprécié.

Après deux heures, la jeune femme avait bien mérité qu'on la laisse filer pour ne pas rater la fin du concert de son superhéros Wayne Shorter.