Après avoir déploré la minceur relative de sa plus récente proposition studio, il y avait lieu de se questionner pour la suite des choses sur scène. Erik Truffaz en fait-il trop? Pourquoi ne pas allonger la pause plutôt qu'étirer la sauce? Si l'on s'en tient à la réponse de son public, il semble que ces considérations importent peu: le Gesù était plein à craquer pour l'accueillir. Et ce, pour deux représentations consécutives en une même soirée.

Benoît Corboz aux claviers, Christophe Chambet à la basse, Marc Erbetta à la batterie. Seul le bassiste n'a pas fait partie des séances d'enregistrement d'In Between, le plus récent album de Truffaz qui a fait suite à son triptyque Rendez-vous (Paris-Benares-Mexico). En ce qui me concerne, cet In Between porte un titre approprié puisqu'on n'y apprend à peu près rien sur la musique de Truffaz, sauf peut-être la participation de la Suissesse Sophie Hunger sur deux pièces.

Mêmes grooves, mêmes coulées de claviers, même impulsion jazz-fusion-drum'n'bass de la batterie, même magma laissant émerger ce discours minimaliste de la trompette aux sons filtrés à la manière Truffaz. Même affaire. Enfin... pour qui n'a pas traversé ces ambiances, il y a encore lieu de prendre son pied.

Et pour que ça se produise de nouveau, les quatre musiciens qui se sont présentés sur scène lundi ne se sont certes pas comportés comme des fonctionnaires. Prenez cette séquence: filtrée numériquement, plongée dans une chambre d'écho, la voix du batteur a servi l'introduction éthérée d'un long groove façon drum'n'bass, groove auquel ont pris part les claviers, la trompette et la basse. Intensité en courbe sinusoïdale, au milieu de laquelle le trompettiste a exposé des phrases plus chargées, suivies d'un solo de Fender Rhodes serti de riffs percussifs, de facture très seventies.

Un peu plus loin, la ballade Les gens du voyage sera l'occasion de de rappeler que la forme chanson est l'une des clefs du succès truffazien. Dans cette même optique, on comprendra le flash du trompettiste français d'avoir invité Sophie Hunger à chanter sur l'album In Between: Dirge, une reprise de Bob Dylan, et Let Me Go, une chanson originale créée par la chanteuse de concert avec le trompettiste et ses musiciens. Sur scène? On garde l'impression d'un accompagnement au service de Sophie Hunger, sans plus. Pop de qualité, donc, mais pas une expérience instrumentale des plus marquantes.

Le quartette de Truffaz est revenu au rappel avec Lost In Bogota, un de ses grooves typiques, très funk cette fois, avec un solo de claviers très Booker T. & the MG's. L'honneur était sauf... jusqu'à la prochaine étape concluante.

Les tripes de Sophie Hunger

Coup de coeur de la direction artistique du FIJM en 2010, la Suissesse Sophie Hunger avait débarqué sur scène en première partie du trompettiste. Comme l'an dernier, on a relevé l'intensité, les tripes sur la table, les mélodies, la voix, ce psych-folk européen assorti d'arrangements audacieux et consonants. Aussi singulier que certains le prétendent? Pas sûr, mais bon, il est vrai que cette chanteuse est «investie», pour citer Truffaz.

D'entrée de jeu, elle a chanté en dialecte suisse-allemand. Beau chant a cappella, à la suite duquel elle s'est mise au piano et a entonné ses chansons originales, singulièrement accompagnée par les Zurichois Christian Michael Prader (flûte, guitare, kick drum) et Michael Mark Flury (trombone, percussions, glockenspiel). En prime, elle a entonné une version sentie du classique de Noir Désir, Le vent nous portera. En une quarantaine de minutes, Sophier Hunger aura réussi à soulever une bonne partie de l'auditoire, et elle a reçu une ovation sincère.