Peut-être Emir Kusturica était-il «effondré» au lendemain de la défaite humiliante de l'équipe de l'Argentine - et de son ami Maradona - à la Coupe du monde, mais il n'en a rien laissé paraître hier soir sur la grande scène de la place des Festivals. Le groupe musical No Smoking Orchestra, auquel s'est joint le célèbre cinéaste d'origine serbe il y a 25 ans, a servi sous la canicule un concert rassembleur, marqué par des rythmes tziganes effrénés.

Le réalisateur du Temps des gitans, que nous n'avions pas vu sur scène à Montréal depuis un fameux concert organisé dans le cadre du Festival des films du monde en 2001, a offert, en compagnie de ses comparses, une performance à l'image de son cinéma: foisonnante et joyeusement bordélique. 

Le groupe de musiciens extraterrestres tout droit sortis des Balkans, qui a enrobé de ses sonorités les plus récents films du cinéaste, a vite établi un climat de folie contagieuse en balançant d'entrée de jeu des motifs musicaux aussi irrésistibles que festifs. Non sans avoir auparavant, tradition oblige, rendu hommage à l'hymne national... soviétique. Lequel fut aussitôt interrompu par les accents pesants de Sa Sa, une pièce ponctuée d'un appel incantatoire. Cabotins, suintant l'âme slave dans ce qu'elle a de plus coloré, les neufs musiciens (incluant le chanteur) partagent visiblement le même plaisir carnavalesque sur scène.

À la guitare électrique ou aux percussions, «Emir Clapton», qui portait un t-shirt à l'effigie du cosmonaute Gagarine, préfère visiblement rester discret. Et met plutôt ses complices en valeur. Notamment le chanteur Nelle Jankovic qui, costumé en chauve-souris (aux couleurs de la Serbie!), a bien su animer les choses.

Les pièces tirées des bandes originales de Chat noir, chat blanc et La vie est un miracle ont évidemment obtenu la cote. D'autant que celles-ci permettent des envolées endiablées auxquelles les milliers de spectateurs ne demandaient pas mieux que de s'abandonner, chaleur suffocante en prime.

Les musiciens s'amusaient aussi parfois à détourner des motifs archi-connus (Pink Floyd ou Deep Purple) pour mieux entraîner le public vers des pièces où s'entremêlent habilement plusieurs styles, du rock électro-tzigane de Unza Unza Time aux rythmes cubains de MTV. Qui peut se vanter de faire battre la cadence à des milliers de personnes au son d'un... tuba?

On remarque aussi l'excellente cohésion d'un ensemble musical qui, sous des apparences un peu loufoques, maîtrise parfaitement son exécution. Instruments traditionnels sont ici mis au service de pièces généreuses et irrésistibles, dont les thèmes appellent parfois à une saine insubordination (Pitbull Terrier, Was Romeo Really a Jerk, The Devil in the Business Class, l'un des meilleurs numéros de la soirée). Chorégraphies trépidantes, morceaux de bravoure qui relèvent parfois davantage du numéro de cirque, effets visuels amusants, tout a été mis en place pour que le «party» prenne. Et il a pris.

Les Montréalais ne se sont pas gênés pour succomber à l'ivresse. Ils ont bien fait. Au moment de l'heure de tombée, la fête balkanique était partie pour durer encore un petit bout...