Les New-Yorkais Steve Kuhn, David Finck et Joey Baron forment un trio de haute volée. Qui, au Gesù, était à mon sens le seul repas substantiel en ce dimanche soir. C'est bien beau prolonger la programmation en salle jusqu'à lundi, encore faut-il (aussi) de la nourriture pour les férus de jazz!

Bien maigre menu dominical, du moins en ce qui me concerne... J'aurais peut-être dû troquer le concert très sympathique d'Allen Toussaint en solo pour celui de Charlie Hunter, mais bon... à la dernière minute, il n'y avait plus de places réservées aux médias... Remarquez que Toussaint, c'est quand même du bonbon pour qui s'intéresse à sa carrière remarquable de songwriter.

Et revenons à Steve Kuhn et son trio. Il y avait de quoi se délecter, enfin pour qui aime le jazz moderne qui ne valorise pas la flamme et l'extraversion.

Longtemps, ce pianiste renommé m'a laissé un peu sur mon appétit. Longtemps, je l'ai trouvé trop calme, trop cérébral voire un peu froid. Avec le temps? Plus j'écoute Steve Kuhn, plus je l'apprécie. L'homme n'est jamais devenu une vedette du jazz moderne, il a quand même toujours travaillé dans les plus hautes sphères de la profession depuis qu'il y a joint  les grandes ligues, soit à la fin des années 50.

À 72 ans, ce jazzman impose le plus grand respect. Ses concepts harmoniques sont raffinés, ses pointes de virtuosité sont repérables pour qui s'applique à l'écouter. Ses entrées en matière sont toujours avisées, elles font état d'une vraie recherche conceptuelle au service de l'élégance.

Cette heure et demie s'amorcera par un swing échafaudé sur le thème de Guys and Dolls,  de Frank Loesser. Un peu plus loin, Steve Kuhn nous propose Two by 2, une composition de son cru qu'il a déjà enregistrée avec le bassiste Steve Swallow. Puis c'est Blue Bossa de Kenny Dorham, son premier employeur à New York. On remarque la citation de Besame Mucho au milieu du solo, ornement intéressant.

Oceans In The Sky,  une  autre composition de Kuhn créée en 1989 et construite sur un rythme ternaire (6/8), met d'abord en relief le contrebassiste avec une intro à l'archet qui rappelle le chant des baleines. Oceans in The Sky, indeed...  Pendant que la section rythmique bat son plein, le clavier se fait plus impétueux, plus percussif. Pendant que la  mer et le ciel s'agitent,  on peut contempler des références pianistiques on ne peut plus impressionnistes, debussyennes à souhait.

La fameuse ballade Victor Young, Stella By Starlight, demeure très calme, avec une contrebasse qui préconise d'élégantes  interventions à l'archet. Le jeu de Kuhn demeure ce qu'il a toujours été : tranquille, introspectif, ouvert, intelligent, peu spectaculaire, le tout coiffé de cette ce lâcher prise que lui apportent sa grande expérience.

Après Slow Hot Wind d'Henry Mancini, un blues, on file vers le bebop, avec une solide relecture de Confirmation, signée Charlie Parker. Une fois de plus, on aura applaudi le jeu très dynamique et d'autant plus créatif de Joey Baron - qu'on avait vu jeudi dans le mémorable marathon de John Zorn.

Le rappel ne passera pas inaperçu : The Zoo, une composition de Steve Kuhn, prévoit un solo de contrebasse qui cite Nature Boy (Nat King Cole) ainsi qu'un texte de chanson des plus amusants que s'amuse à interpréter le pianiste en guise de conclusion, avant de fermer le livre sur un fragment de A Love Supreme, hymne suprême de John Coltrane.