Sur cette petite planète, le jazz de Pologne est beaucoup mieux connu que le russe ou le tchèque. Le pianiste Adam Makowicz, la chanteuse Ursula Dudziak, le violoniste Michal Urbaniak ou encore, plus récemment, le trompettiste Piotr Wojtasik. Étonnant? Tomasz Stanko, le plus renommé des trompettistes polonais, certes un des meilleurs d'Europe pour ne pas dire du monde entier, a sa petite idée là-dessus.

«Dès la fin des années 50, le jazz y était valorisé. L'ensemble de Dave Brubeck s'y était produit en 1958, ce fut d'ailleurs le premier concert de jazz international auquel j'avais assisté. Étrangement, les musiciens et amateurs de jazz n'avaient pas de problèmes avec la censure en Pologne. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais le jazz était respecté par le pouvoir. Une chance, en quelque sorte. En Tchécoslovaquie et en Union soviétique, pourtant, c'était beaucoup plus difficile...»

 

Ainsi, Tomasz Stanko a amorcé sa carrière professionnelle en 1963, au sein de l'ensemble du pianiste Krystof Komeda.

« En 1965, j'avais fait la rencontre de Cecil Taylor, alors de passage dans mon pays. Dès lors, j'avais établi de bons contacts avec les musiciens américains, contacts d'ailleurs encouragés par l'ambassade des États-Unis à l'époque.»

Depuis, cet excellent trompettiste fut de plusieurs grandes aventures du jazz européen à l'époque, sans trop se soucier de ses déplacements à l'Ouest jusqu'à l'effondrement de l'Union soviétique et de ses régimes satellites. Ses collaborations avec plusieurs grands du jazz sont aussi notoires - Dave Holland, David Murray, Jack DeJohnette, etc. De l'avant-garde au jazz moderne plus conventionnel, Tomasz Stanko a ratissé large.

Jazz européen

Même si associé au jazz européen, il a du mal à circonscrire cette musique à un territoire donné.

«Pour moi, ces considérations n'existent pas vraiment. Il n'y a que la bonne et la mauvaise musique. Je cherche la qualité, pas la nationalité. Mais... c'est vrai, je dois admettre que certaines formes de jazz sont typiques de l'Europe, notamment cette avant-garde free des années 60 et 70, bien qu'elle se soit inspirée d'Albert Ayler, Cecil Taylor ou Ornette Coleman.

«Il est aussi vrai qu'il existe une différence dans le statut du jazz. Aux États-Unis, le genre a toujours été lié à la culture pop, il l'est encore en partie alors qu'en Europe, ça fait partie de la grande musique. Contrairement aux États-Unis, il est rare qu'on puisse y écouter du jazz de grande qualité dans un restaurant. Oui, il y a une différence, mais... je ne cherche pas à trouver d'explications!»

On comprendra d'ailleurs pourquoi Tomasz Stanko vit à Varsovie... et passe le quart de l'année à New York où il a un pied-à-terre. «J'aime les grandes villes et je me sens très bien à New York, capitale du jazz où vivent tant de musiciens.»

Quintette scandinave

Au Gesù, Tomasz Stanko présentera le contenu de l'encore récent Dark Eyes, un album de haute tenue - étiquette ECM.

«Je viens avec mon quintette scandinave; le pianiste (Aleksi Tuomarila) et le batteur (Olavi Louhivuori) sont d'Helsinki, alors que le contrebassiste (Anders Christensen) et le guitariste (Jakob Bro) sont de Copenhague. Je suis très heureux avec cette formation. J'ai toujours eu des relations privilégiées avec cette communauté de jazzmen scandinaves. Chez moi aussi, il y a d'excellents musiciens. Avant la formation de ce quintette, j'ai eu un quartette polonais avec qui j'ai joué pendant presque 10 ans.

«Ces jeunes musiciens européens représentent une génération très solide sur les plans de la technique et de l'esprit musical. Autrefois, le jazz européen se limitait à quelques gros noms - Peter Brötzmann, Alexander Von Schlippenbach, Misha Mengelberg, Jan Garbarek... Le trompettiste Manfred Schoof fut d'ailleurs mon premier modèle en ce sens.»

Âgé de 67 ans, Tomasz Stanko ne se vautre pas dans la tradition, mais son approche demeure en phase avec l'idée qu'on se fait du jazz moderne depuis les années 60, avec en supplément cette touche typique des ensembles privilégiés par Manfred Eicher, grand vizir de l'étiquette ECM. «Personnellement, je crois être plus proche d'un jazz «conventionnel» car j'en aime l'approche mélodique, bien que j'aie beaucoup de respect pour l'esthétique free

Outre ce cadre très «jazz de chambre» qu'il préconise, on attribue l'identité musicale de Tomasz Stanko à la singularité de son jeu de trompette. Encore plus particulièrement, à son timbre.

«Je crois, corrobore-t-il, que le son est très important dans la musique de jazz. Il faut avoir son propre son, ça fait partie de l'individualité essentielle au jazzman. Ça remonte d'ailleurs aux origines de la forme, à Louis Armstrong. Je soigne donc mon son, un fondement de ma musique.»

Le quintette du trompettiste Tomasz Stanko se produit ce soir, 22h30, au Gesù.