Je n'avais jamais vu Richard Bona en chair et en os, mais on m'avait dit le plus grand bien de ce bassiste et chanteur d'origine camerounaise désormais établi à New York. J'ai vite constaté, vendredi soir, que ce gars-là n'avait rien à son épreuve et que malgré son âge pas si vénérable que ça, il maîtrisait toutes les facettes du métier.

André Ménard lui a remis le prix Antonio-Carlos Jobim en soulignant qu'il était à l'intersection des musiques du monde et du jazz. En partant, il nous a servi deux pièces assez proches de la pop, une salsa qui empruntait au son de Pat Metheny et une chose plus funky qui mettaient toutes deux ses musiciens en valeur. Il a fallu attendre un collage en hommage à Joe Zawinul - avec qui Bona est venu au Canada la première fois - et Jaco Pastorius pour que le super bassiste se manifeste. Il nous en a alors mis plein la vue et les oreilles pendant un long solo qu'il a joué comme si c'était la chose la plus facile au monde.

Il nous a aussi servi deux pièces de son plus récent album The Ten Shades of Blues, dont Shiva Mantra, composée à Mumbai mais moins évocatrice que la version studio parce que dépouillée de ses sonorités indiennes. Il nous a aussi offert, seul sur scène, une construction vocale échafaudée couche par couche à l'aide de ses pédales. Du travail bien fait.

Cet éternel gamin a présenté ses musiciens en parlant foot, se payant la tête de son percussionniste brésilien et tirant la pipe à son claviériste néerlandais, respectivement perdant et gagnant du match disputé au Mondial plus tôt en matinée. Peu après, il s'est même permis de nous chanter un pastiche de chanson à la française dont le texte était une enfilade de clichés déclamés avec un faux sérieux. «Faut bien rigoler», a dit Bona, ce que j'ai fait comme tout le monde. Mais je me demande si ce n'est pas justement parce qu'il s'est un peu éparpillé que je n'ai pas gardé du concert de Richard Bona un souvenir impérissable.John Surman et Howard Moody

Il a aussi été question de foot dans la belle église St. James où m'attendaient le saxophoniste-clarinettiste britannique John Surman et son compatriote organiste Howard Moody. Après la très belle Rain On the Window, qui donne son titre à leur album de 2008, et une pièce «plus sombre» intitulée Stone Ground, Surman a célébré la victoire de l'équipe des Pays-Bas avec une composition dans laquelle Moody tirait du grand orgue le son d'un orgue de Barbarie jadis si populaire dans les rues d'Amsterdam.

Même si j'avais écouté Rain On the Window, je ne me doutais pas à quel point pouvait être réussi le mariage entre la légèreté de la clarinette de Surman et le caractère solennel de l'orgue d'église, qui n'avait pas servi depuis dix ans, ont appris les musiciens le matin même. J'en tiens pour preuve cette improvisation qui a commencé comme un jeu du chat et de la souris entre la flûte et l'orgue et s'est terminée en apothéose par la montée en parallèle de la clarinette et du grand orgue. Ajoutez à cela la magnifique ballade folklorique anglaise The Water Is Wide et vous comprendrez que j'ai passé à l'église St. James quelques-uns des plus beaux moments de mon Festival de jazz.

Caravan Palace

Chemin faisant vers La Presse, je me suis arrêté une demi-heure à la place des Festivals où Caravan Palace donnait le premier de ses deux spectacles. «C'est eux, les invités surprise?», m'a demandé une dame qui passait par là. Oui madame, dans la mesure où peut nous surprendre un invité qu'on ne connaît ni d'Ève ni d'Adam. Parlons plutôt d'un groupe dont on nous a caché l'identité parce qu'on voulait vendre le plus de billets possible pour son spectacle de la veille au Métropolis.

Les six Français, qui font dans le swing rétro et l'électronica, avaient en main quelques atouts pour apprivoiser une foule de cette ampleur. Surtout à partir du moment où la chanteuse Colotis Zoé s'en est mêlée. Son duo de scat avec Hughes Payen, également violoniste du groupe, leur a valu une première bonne claque. Quand je les ai quittés, le travail de séduction était bien entrepris.