Bobby McFerrin a mis sept longues années à accoucher de son récent album VOCAbuLarieS, créant sept chansons avec une chorale virtuelle nourrie de 1400 enregistrements distincts. Pourtant, le spectacle exemplaire qu'il a donné mercredi soir au Théâtre Maisonneuve n'avait rien d'un travail monastique. Au contraire, le maître improvisateur américain nous a fait passer une soirée unique, tout à fait ancrée dans le moment présent et qui a tenu son public en chaleur sur le qui-vive pendant deux heures.

Précédé des 21 chanteurs du Collège vocal de Laval et du chef de choeur, compositeur et orchestrateur Roger Treece, grand complice dans l'aventure VOCAbuLarieS, McFerrin a fait son entrée et s'est assis devant ses amis d'un soir, disposés en demi-cercle. Il  a soufflé dans son micro et s'est aussitôt lancé dans une improvisation dont il a le secret, où sa voix se transforme en un véritable orchestre. Puis il a entraîné progressivement le choeur à sa suite, invitant tour à tour les hommes puis les femmes à reprendre une suite d'onomatopées qu'il venait de chanter.

L'exercice aurait pu être périlleux pour ces chanteurs qui avaient répété les chansons de VOCAbuLarieS avec Treece deux jours plus tôt, mais qui n'étaient pas pour autant rompus aux excursions sans filet de la vedette. Qu'importe : s'ils trébuchaient, ils riaient un bon coup et se reprenaient aussitôt. On aurait dit une séance d'échauffement, à laquelle le public participait avec enthousiasme et qui préparait le terrain pour les chansons de VOCAbuLarieS.

Treece s'est alors levé pour aller diriger le choeur, cédant sa place parmi les choristes à McFerrin qui, toujours assis, a improvisé discrètement pendant que s'élevaient les voix des chanteurs, debout devant leurs lutrins. C'était d'une puissance et d'une beauté qui transcendaient aisément ce qu'on avait entendu sur disque, depuis les chants d'inspiration africaine (Wailers, The Garden) jusqu'à une chanson en langage inventé qui ne déparerait pas dans un spectacle du Cirque du Soleil (He Ran To The Train) en passant par une longue suite chantée dans une dizaine de langues (Messages) qui tenait presque du cantique religieux.

McFerrin est passé habilement de ces chansons structurées aux improvisations, glissant à l'occasion des choses plus connues comme Opportunity, Drive, son adaptation de Blackbird des Beatles ou encore la comptine Itsy Bitsy Spider, tantôt jazzée, tantôt opératique, avec une pincée du Boléro de Ravel. Il a aussi repris spontanément I Can See Clearly Now de Johnny Nash que le public semblait mieux connaître que la chorale.

L'athlète vocal de 60 ans nous a encore impressionnés par sa présence d'esprit, son sens de l'humour et de la repartie. Quand des téléphones se sont mis à sonner dans la salle, il a créé sur le champ un bout de chanson sur ce thème. Puis, au beau milieu du spectacle, il s'est assis sur le rebord de la scène et a invité des spectateurs à venir chanter avec lui. Des cinq courageux qui se sont portés volontaires, la palme est revenue à un grand monsieur, probablement d'origine africaine, qui a non seulement chanté avec aplomb une chanson de son village mais s'est aussitôt mis à donner ses propres directives à la chorale! Aussi surpris que ravi, Bobby McFerrin a constaté qu'il était encore possible de lui voler la vedette.