Que justifie l'invitation de Manu Katché dans une série aussi prestigieuse que la série Invitation? Y invite-t-on Vinnie Colaiuta? Dave Weckl? Steve Gadd? Victor Wooten?  D'accord, je pige. On finira bien par les inviter.

Historiquement, cette série attire deux types de publics. Un public de mélomanes qui venus découvrir l'univers de jazzmen cruciaux dans l'avancement de la forme. Or, de plus en plus ces dernières années, on y mobilise un public de fans finis: ceux d'un instrumentiste virtuose, adulé pour sa performance individuelle. C'est le cas du batteur français Manu Katché.

Bien sûr, Katché est une célébrité de la batterie. Les auditoires ayant rempli le Gesù à craquer, lundi et mercredi, savent bien qu'il a joué avec Peter Gabriel et Sting, mais aussi Jan Garbarek et autres éminents citoyens de la planète Jazz. Qu'il vient tout juste de lancer l'album Third Round, un album plutôt ordinaire en ce qui me concerne. Rien de particulier dans les structures, dans le son, dans les thèmes, dans l'esthétique d'ensemble. Simple, assez pop de facture, et propice aux performances individuelles.  

J'en ai entendu la relecture sur scène ce lundi, avec un quartette de bon niveau, paneuropéen de surcroît - pianiste italien (Alfio Origlio), saxophoniste scandinave  (Tore Brunborg), bassiste français (Laurent Vernerey), batteur français. Voilà un quartette de performance, fait sur mesure pour de puissants grooves et un jazz des années 70 ou 80. Origlio alterne entre piano et Fender Rhodes, la basse électrique de Vernerey s'avère très mélodique, le ténor de Brunborg a le son des très bons. Katché demeure Katché, c'est-à-dire excellent. Bien joué, belle cohésion... et encore bien peu de substance compositionnelle au programme.

En ce qui me concerne, Manu Katché n'a prouvé grand-chose en tant que leader ou compositeur. En tant que batteur? Bien sûr que oui. Alors? Inviter ce batteur, c'est comme avoir invité Mike Stern ou Richard Bona. Justement, ce dernier est devant une salle pleine de fans fervents, en ce mercredi au Gesù. Le voilà en train de soutenir le super guitariste français Sylvain Luc comme le fait leur hôte à la batterie.

Faut-il bouder son plaisir? Ben non. Vous savez, on peut se réclamer de la composition et de la substance, des créateurs ayant un langage substantiel dans l'organisation générale des sons, cela n'empêche pas de passer un bon moment à l'écoute de trois super artilleurs.

Difficile de se lasser de voir s'escrimer Sylvain Luc, un extra-terrestre dont certaines passes me dépassent parfois. Ouate de phoque! Comment fait-il?! Comment exceller avec pic ou avec les cinq doigts?  Avec technique classique ou technique jazz/rock? Avec cordes de nylons ou de métal?  Acoustique ou électrique? Comment déployer autant de concepts guitaristiques et ainsi repousser les limites de la guitare? Qu'on se le dise, on a affaire à l'un des plus grands de son époque. Un extra-terrestre, pour reprendre l'expression de Sylvain Provost, avec qui il a fait équipe en mars dernier dans le cadre du festival Jazz en rafale.

Bien sûr,  on a pu voir Richard Bona en masse lors de son séjour au Théâtre Jean-Duceppe - série Invitation, 2007. Superbe instrumentiste, bon chanteur, un trip intéressant. Rapidité, technique post-Pastorius, des trucs à lui, vraiment un bassiste de l'élite jazzistique internationale. Fidèle à lui-même en ce vendredi soir.

Bien sûr, Manu Katché est à la hauteur de la situation. À l'écoute de ses collègues et de leurs capacités phénoménales.

Voilà certes une séance d'entraînement fondée sur la performance. Les gars sont capables d'assimiler des thèmes rapidement et nous les jouer comme si de rien n'était. C'est ça, le calibre international.  C'est ça, les grandes ligues. Cela étant, ce que j'ai entendu ne m'a pas jeté par terre. Je n'ai pas appris grand-chose de plus sur ce que je savais déjà de ces grands instrumentistes. Moment très agréable, certes, probablement une révélation pour qui découvrait Sylvain Luc pour la première fois... et qui n'a pas fini de remplir les salles du FIJM dans les années à venir.

En ce qui me concerne, la haute virtuosité n'est pas un pain complet. Elle s'apparente plutôt au café fort, au chocolat noir. Dans l'organisme, l'effet est rapide voire fulgurant... et a tôt fait de se dissoudre. Plus on écoute de musique dans la vie, plus la dissolution est rapide. Ce qui ne nous empêche pas d'en redemander...