Enfin, fans de Motown que nous sommes! Enfin, le légendaire, l'immense Smokey Robinson! Un demi-siècle de métier qui, du haut de la grande scène de la Place des Arts, nous contemple, nous, fans de l'époque bénie de la pop américaine, du r&b et du soul! À lui, grand compositeur des immortelles des Temptations, Stevie Wonder, de ses propres Miracles et autres Marvin Gaye, à lui, le «Spirit Award» remis par le Festival de jazz qui l'invite!

Le pot, maintenant. Avec tout le respect qu'on doit au jeune septuagénaire, le concert qu'il a offert hier soir a été navrant. Ça nous coûte de l'écrire, mais il n'y a pas d'autre mot. Navrant.

 

Écrit simplement, l'issue de cette performance ne tenait qu'à une chose, essentielle: l'orchestre. Ou bien celui-ci allait nous dorloter les tympans avec des cuivres bien serrés, une section rythmique qui a du ressort, des accompagnateurs allumés pour rendre, aussi fidèlement que possible, ces grandes chansons que nous a écrites Smokey Robinson, mémoire vivante de la mythique maison Motown de Detroit. Ou alors...

Ils étaient neuf sur scène. Dont deux joueurs de synthétiseurs. Pas l'ombre d'un Hammond ou d'un Rhodes, que des synthés, que du toc, ils étaient deux (de trop) à noyer les chansons dans des nappes de violons artificiels, à appuyer avec des succédanés de cuivres un pauvre saxophoniste, le seul de sa gent, dépassé par ses propres moyens. La section rythmique? Blafarde. Neurasthénique. De la soupe pop-r&b d'une autre époque, mais pas la bonne. Triste, qu'on vous dit.

Cabotinages

On lui aurait tout pardonné s'il avait su bien s'entourer. Les cabotinages, les interventions aussi longues que les chansons elles-mêmes. Les blagues douteuses sur son ami Stevie Wonder (qui texte en conduisant trop vite, voyez le genre). Si au moins il avait davantage raconté son histoire chez Motown, lui qui a pratiquement construit de ses mains le studio, branché les fils du «Snake Pit».

Le début augurait pourtant bien, avec une enfilade des classiques des Miracles, Going to a Go-Go, I Second That Emotion et You've Really Got a Hold on Me de ses Miracles, puis un de ses succès solo, Quiet Storm, qui a pratiquement donné naissance à un genre de soul langoureux, avant de relancer avec LE classique des Miracles, Ooo Baby Baby. Juste d'entendre le géniteur gémir ces chansons, c'était déjà un miracle.

Puis vint un medley des chansons des Temptations, et ça aussi valait le détour (pour peu, encore une fois, qu'on fasse abstraction des arrangements fades). Robinson qui nous chante les classiques qui ont fait des Temptations l'un des plus importants groupes de l'époque, ça vaut de l'or. Idem pour Tears of a Clown, qu'il a coécrite avec Little Stevie Wonder.

Son amour du métier d'auteur-compositeur l'a fait dévier là où on ne tenait pas qu'il aille, alors qu'il reprenait Don't Know Why (succès de Norah Jones) ou Fly Me to the Moon. Tout d'un coup, l'orchestre exposait ses limites. Robinson, lui, qui a changé son complet de satin blanc pour des pantalons noirs à paillettes, semblait nous rappeler que le flair de ses débuts s'est perdu avec l'âge.

En fin de parcours, Smokey s'est repris, notamment avec une interprétation sentie d'un autre classique, The Tracks of My Tears. Immense. Si on lui pardonne? À lui, tout. Mais on ne retournera plus le voir sur scène.