Plus d'une décennie après avoir été parmi les initiateurs de l'électro-jazz, une forme de musique improvisée misant essentiellement sur l'usage des technologies numériques, le trompettiste et compositeur norvégien Nils Petter Molvaer n'a pas tout dit ce qu'il avait à dire, mais... Voyons voir ce qui s'est produit au Gesù, samedi soir.

Projection de superbes images de synthèse à proéminence bleutée, éclairages de scène également bleutés. Ce cadre visuel sera mis au service d'une fresque sonore d'une heure et demie, continuum à peine interrompu par les changements de chapitres.Voilà l'environnement immersif que propose Nils Petter Molvaer.

Trompette (Stian Westerhus), batterie (Avoun Kleive) et trompette sont ainsi connectés à de multiples programmes informatiques et dispositifs numériques visant à créer une autre expérience musicale, aux confins du jazz, du bruitisme et de la musique électronique. Le voyage que proposent le trompettiste et ses deux collègues, il faut dire, relève d'une matière similaire à celle de son album récent Hamada (étiquette Emarcy/Universal).

Toutes les dynamiques de l'expression y sont traversées : le calme, l'introspection, la passion, la violence, le chaos, bref les grands mouvements de l'existence. Les sons cristallins y précèdent les volcaniques qui, eux, précèdent les aquatiques, et ainsi de suite. Ambiances feutrées, épisodes technoïdes, explosions de rock et autres déflagrations, respiration méditative, on en passe.

La performance instrumentale de ces trois hommes sur scène est minime, le concept compositionnel l'emporte largement sur toute virtuosité - surtout en l'absence du guitariste Eivind Aarset, de loin le meilleur collaborateur de Molvaer, remplacé dans cette tournée par un artilleur moins éloquent.

Visiblement, les instruments sont ici des vecteurs de composition. Visiblement, on ne peut évaluer le niveau technique de ces musiciens, tous consacrés à peindre une vaste fresque sans que l'articulation des doigts, la souplesse, et le souffle n'en soient les facteurs primordiaux de la réussite. En d'autres termes, la virtuosité est loin d'être essentielle à la bonne marche de l'affaire. La musique de Nils Petter Molvaer est plutôt une affaire de juxtaposition en temps réel de sons préprogrammés et de jeu instrumental relativement limité. Tout se joue sur la relation entre les textures et les notes, entre les sons analogiques et numériques. Tout se joue sur les idées et la qualité des émotions qui y sont sous-tendues.

Difficile, en fait, de parler de compostions qui vont au-delà de ce qu'on connaît de Nils Petter Molvaer, bien que le facteur « noise » soit désormais plus important dans la facture. Comme la majorité absolue des créateurs, le trompettiste peaufine ce qui nous l'a rendu si attractif à la fin des années 90. Il n'a pas encore tout dit, force est d'admettre. À n'en point douter, il réussit encore à soulever son auditoire (surtout les amateurs qui le découvrent pour la première fois), mais... M'est d'avis qu'il en dit moins.