Le 11 novembre, l'auteur-compositeur-interprète Antoine Corriveau foulera les planches du Lion d'or, là même où, il y a quelque huit mois, il mettait au monde certainement l'un des disques les plus pertinents de l'année 2014, le ténébreux et inspiré Les ombres longues.

Cette rentrée montréalaise, qui survient au mitan d'une série de concerts partout au Québec, permettra à l'équipe de musiciens de défendre les 10 pièces folk-rock dans une formule augmentée, tant sur le plan de la mise en scène que de l'instrumentation.

«Ça va être le fun, on a fait pas mal de shows et le spectacle a évolué, raconte Antoine Corriveau au téléphone, harassé par la route. Avec un ingénieur du son, un éclairagiste et sept musiciens, on va pouvoir rendre l'album à sa pleine mesure.»

Ironie du sort, La Presse attrape Antoine Corriveau pour parler de ses retrouvailles avec la métropole alors que sa fourgonnette de tournée file depuis près de 6 heures vers Moncton, au Nouveau-Brunswick, où il participera à un concert de présentation d'au plus 20 minutes.

Le genre de petit sacrifice qui, jumelé à un rare talent d'auteur et de compositeur, lui donnera la possibilité de vivre de sa voix rauque, de ses guitares indociles et de sa prose taillée au couteau avant longtemps. «J'ai de plus en plus la sensation que ça va finir par se pouvoir, dit l'artiste multidisciplinaire, qui touche aussi au design graphique et à la bédé. La portion de mon salaire qui vient de la musique par rapport aux autres sources de revenus tend à s'inverser.»

Silence radio

Depuis que les critiques musicaux se sont entichés de son petit brûlot post-printemps érable, une plus grande partie de son public le découvre d'abord sur disque, puis en concert. L'inverse prévalait, explique-t-il, à l'époque de St-Maurice/Logan, une première proposition plus posée parue en 2011. «Le mood est différent en spectacle, on ne se soucie plus seulement de faire découvrir l'album. L'heure, l'endroit, la scène... on voit aussi des changements dans notre programmation.»

Par contre, côté radiophonique, et c'est là que le bât blesse, les ondes FM ne semblent pas prêtes ni ouvertes à porter des propositions viscérales comme celles d'Antoine Corriveau. Sans que cette préoccupation ait teinté le processus de création, assure le chanteur, il croit ferme que certaines de ses pièces plairaient à l'automobiliste lambda.

Il a tenté de franchir le pas avec La tête en marche, étant même prêt à débourser la coquette somme de 3000 $ pour favoriser sa diffusion. «On nous a dit que ce ne serait pas possible de la rentrer [sur les ondes], et ils n'ont même pas voulu essayer. Il y a énormément d'artistes qu'on devrait entendre à la radio, mais c'est un circuit dur à pénétrer. Même après avoir essayé, on s'aperçoit que ça ne donne rien, alors j'ai lâché prise.»

Lutte et cassure

Les thèmes des Ombres longues sont pourtant universels, à commencer par la cassure, amoureuse, certes, mais aussi sociale, d'où les nombreuses et subtiles références au printemps érable. «Quand j'ai commencé à écrire le disque, il y avait beaucoup de ruptures dans mon entourage, et ça a servi de point de départ. La grève étudiante est ensuite venue teinter ce que j'avais envie de dire, et j'ai décidé de mélanger les deux univers dans mes chansons, de permettre une double interprétation.»

Celui qui campait sporadiquement le rôle du manifestant en 2012 a mis du temps à traduire la lutte en mots, et c'est d'abord la bédé qui lui a servi d'exutoire. «Le premier réflexe, c'était de penser que je n'arriverais pas à écrire des chansons sur le sujet. J'ai dû prendre du recul pour que l'écriture devienne plus large, plus personnelle.»

«Sombre», «noir», «triste», «lourd», «mélancolique»: le champ lexical des qualificatifs autour des Ombres longues est unanime, mais Antoine Corriveau aimerait que les mélomanes voient davantage d'éclaircies au travers du brouillard. «J'avais envie d'assumer que ce n'était pas un beat jojo, mais à chaque entrevue, j'ai l'impression qu'on accorde une importance démesurée au fait que c'est sombre, on le souligne à gros traits. Il y a plein de chansons qui ne sont pas si dark que ça, et j'ai volontairement voulu faire un album plus rock pour que le propos ne devienne pas accablant.»

Le tourisme noir

Antoine Corriveau a l'impression, cette fois, de s'être affranchi de ses influences et des comparaisons, même si les clins d'oeil à Jean Leloup, Nick Cave ou encore PJ Harvey ne passent pas inaperçus. Pas plus que ce timbre de voix qui rappelle inévitablement celui du Franco-Manitobain Daniel Lavoie. «C'est drôle, parce que je n'ai jamais écouté un album complet de lui. Je le connaissais, sans plus, mais je l'ai vraiment découvert sur le volume 1 de Douze hommes rapaillés, et j'aime beaucoup sa voix, alors tant mieux!»

L'auteur, qui a planché sur des chansons de la prometteuse Julie Blanche ces derniers mois, se tourne tranquillement vers un prochain album, toujours sous la gouverne du réalisateur Nicolas Grou. Quel sera cette fois le fil conducteur, en ces temps de relative paix sociale? «J'ai lu un texte récemment sur Tchernobyl, et sur le ''dark tourism'' autour de la catastrophe, raconte-t-il. Ç'a été l'inspiration d'une première nouvelle toune, et cet univers [le tourisme noir] pourrait être un point de départ. Il y a une imagerie particulière sur laquelle construire des chansons personnelles, mais j'ai le temps de changer d'idée.»

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Le 11 novembre, au Lion d'or.