Dans une planète propre et un silence désintéressé, ils et elles désirent exprimer leur vulnérabilité. Le 17e Festival du Jamais Lu donne la parole à sept artistes qui conjuguent le thème de l'événement, «Manifester le fragile», à leurs préoccupations collectives. Entrée libre pour ces prises de parole qui ont lieu du 5 au 11 mai.

Nicolas Langelier

Extrait du manifeste Pour un peu plus de silence 

«Tout nous incite à vouloir le centre. À choisir le centre, le désirer ardemment, en faire un objectif de vie. Le centre des projecteurs, là où il y a un petit X en papier collant. Le centre de la conversation et des regards. Le centre des réseaux et des ‟communautés" qui n'en sont pas vraiment. Mais rien ne nous oblige à souhaiter être au centre. Je dirais même que c'est se condamner à beaucoup d'insatisfaction, pour très longtemps. La célébrité, quelle que soit sa forme, n'a toujours voulu dire qu'une chose: plus de gens qui nous connaissent que de gens que nous connaissons. C'est une situation qui n'a pas de valeur inhérente, en termes de bonheur potentiel. C'est une situation purement mathématique. Au contraire, il y aurait beaucoup à dire sur le charme des marges. Sur le silence qui y règne, sur la paix qu'on peut y cultiver. Voilà qu'il peut être utile de se rappeler, en ce XXIe siècle de bruits et de lumières: il est possible de cultiver envers le centre une indifférence pragmatique.»

Mis à part le sujet de votre manifeste, qu'y a-t-il de plus fragile dans le monde aujourd'hui?

«La civilisation. Je ne m'en fais pas trop pour la planète, qui trouvera bien le moyen de se remettre de notre voracité et de notre inconscience. La nature est une chose très forte. Mais la civilisation, elle, est beaucoup plus fragile. C'est un mince vernis que nous avons réussi à appliquer sur nos instincts les plus primitifs. Mais l'Histoire a démontré, encore et encore, qu'il suffit de pas grand-chose pour que ce vernis s'estompe et que la nature, sous toutes ses formes, reprenne le dessus...»

Mykalle Bielinski

Extrait du manifeste La fraternité des règnes

«Liste de gestes vraiment efficaces contre le dérèglement climatique: 

- ne plus prendre l'avion;

- se déplacer sans voiture;

- manger végé;

- rendre obligatoires le recyclage et le compostage;

- acheter local ou s'assurer que ton produit n'a pas parcouru des milliers de kilomètres;

- donner des droits aux écosystèmes;

- poursuivre ceux qui saccagent la biodiversité;

- interdire les objets à usage unique;

- bannir le plastique;

- hausser la taxe sur le carbone;

- réduire la production à la source;

- mettre fin à l'obsolescence programmée;

- obliger les secteurs industriels à couper leurs émissions;

- se passer des hydrocarbures;

- développer expressément les énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse et géothermie);

- rendre le transport en commun gratuit;

- choisir collectivement la décroissance;

- limiter les naissances.» 

Mis à part le sujet de votre manifeste, qu'y a-t-il de plus fragile dans le monde aujourd'hui? 

«Le fragile, c'est ce qui est caché, peu valorisé, mal compris, donc peu entretenu, et qui n'est pas assez considéré. Mon intuition personnelle - qui fait écho à plusieurs ouvrages philosophiques et scientifiques récents - m'indique que la société moderne vit une crise de sens noyée dans un individualisme pernicieux qui fragilise certains liens fondamentaux. Notre anthropocentrisme nous a isolés de la nature, mais aussi du mystère qui assure l'équilibre entre toutes choses. Nous ne sommes pourtant pas dissociés du vivant. Les liens à soi, aux autres et au plus grand que soi sont indispensables pour fortifier notre rapport au monde. C'est ce besoin de sacré dans nos vies qui est le plus malmené aujourd'hui.»

Félix-Antoine Boutin

Extrait du manifeste Cabaret de grattage de bobos

«C'est dans les petites choses que l'humanité règne. Dans les petites failles qui ne doivent pas se remplir tout de suite. Pour moi, ses traces, ses marques, ses cicatrices du passé peuvent être de courts témoignages de ce qui nous a construit. Elles se transforment avec nous, disparaissent parfois, elles sont l'empreinte laissée par nos mythes personnels. Je veux créer un cadre pour partager ces histoires. L'important n'est pas la blessure en tant que telle, mais bien la perception que l'on a d'elle. Ce sont des madeleines, des portes qui ouvrent sur un univers de nostalgie, d'impressions, d'expériences, de sensations, de vérités et de mensonges que l'on se fait à soi-même. Elles sont une manifestation de la beauté de notre vulnérabilité.» 

Mis à part le sujet de votre manifeste, qu'y a-t-il de plus fragile dans le monde aujourd'hui? 

«Il me semble que tout est fragile dans ce monde. La stabilité, qu'elle soit politique ou humaine, est un mensonge. Et je crois personnellement qu'il faut embrasser cette fragilité du monde plutôt que de tenter de bâtir des systèmes complexes qui ne font que nous éloigner de ce que nous sommes. En assumant notre fragilité, notre instabilité, notre fragmentation, nous sommes obligés de nous parler et d'être empathiques. Les politiciens qui veulent ‟repartir sur des bases solides" ne font que servir leurs propres intérêts ; c'est en regardant nos failles en face, et en assumant qu'elles seront toujours changeantes, mais existantes, que nous pourront vivre librement. Comme cette opinion que je viens d'exprimer, qui est fragile en moi, pas du tout stable, et qui se transformera au fil du temps.»

Laïma A. Gérald 

Extrait du manifeste Vouloir à tous les temps 

«Le désir est probablement une des choses que j'aime le plus au monde. Parce que c'est beau et que sous l'influence de la substance-désir, je me sens particulièrement vivante, forte, puissante même. Mais c'est aussi un des sentiments que je déteste le plus, parce que c'est sûrement ce qui m'a le plus mise dans marde depuis que mon monde est monde. J'ai toujours adoré les contrastes, en art comme dans la vie. Alors pour moi, me pencher sur cet objet d'amour et de haine qu'est le désir, c'est particulièrement attirant... En fait, l'affaire sneaky avec le désir, c'est qu'il joue un peu sur tous les fronts. Il a le pouvoir de s'immiscer dans la tête, dans le coeur et dans le corps, sans toujours demander la permission.» 

Mis à part le sujet de votre manifeste, qu'y a-t-il de plus fragile dans le monde aujourd'hui? 

«En physique, un objet se fragilise lorsqu'il subit des chocs. Je pense que c'est la même chose avec la psyché humaine. Nous vivons une époque où nous sommes bombardés d'informations qui se cognent, se heurtent et s'entrechoquent. C'est pourquoi, selon moi, l'ouverture d'esprit et la tolérance sont des qualités humaines en état de grande fragilité. Quand les mauvaises nouvelles se multiplient dans nos télés, sur nos écrans et dans nos têtes, c'est tentant de se replier sur soi, de refermer son esprit pour le maintenir en sécurité, et que rien ne le mette en péril. C'est un réflexe de protection naturel. Et si on levait un peu plus souvent les yeux, qu'on ouvrait nos esprits et qu'on décloisonnait nos discours, ça serait pas mieux?»

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Le 17e Festival du Jamais Lu a lieu du 4 au 12 mai au Théâtre aux Écuries.