Si on exclut les élans lyriques de sa fille de 11 ans, qui s'improvise parfois cantatrice dans l'intimité du foyer familial, l'opéra ne fait pas du tout partie de la vie d'Elisapie Isaac. C'était vrai jusqu'à récemment, du moins, puisque celle qui a grandi à Salluit, dans le nord du Nunavik, reprend les rôles tenus par Jani Lauzon dans Louis Riel pour les trois représentations qui auront lieu à Québec.

Et puis, l'opéra ? « Je trouve ça sérieux ! s'exclame la belle Inuite. Dans le bon sens. Je suis quelqu'un de très libre dans ma manière de chanter. Je n'ai pas vraiment conscience des notes ou de la structure, même en tant que compositrice. C'est très frustrant par moments, surtout lorsque je dois faire une pièce chantée où chaque petite note est écrite. Comme je ne lis pas la musique, le pianiste de l'orchestre m'aide. Je me sens comme une enfant ! »

Si elle a accepté l'invitation de Grégoire Legendre, directeur général et artistique du Festival d'opéra de Québec, c'est d'abord pour repousser ses limites personnelles. « Au début, j'ai dit non. Puis après, je me suis dit qu'il fallait que je dise oui. Riel, c'est un personnage important de l'histoire du Canada. Juste en entendant son nom, ça réveille notre imagination. » 

« J'avais envie d'un défi, je viens d'avoir 40 ans, il faut que j'arrête de dire non. » 

- Elisapie Isaac

Seule à Québec, dans un petit appartement au coeur du quartier historique, la chanteuse a l'esprit libre pour attaquer cette nouvelle expérience. Elle visionne des vidéos du spectacle pour apprendre ses déplacements, répète ses chansons et s'intègre à la troupe de Louis Riel, qui est arrivée graduellement dans la capitale la semaine dernière. 

« Je crois que j'aurai plus de repères lorsqu'il y aura des gens autour de moi. Pour l'instant, c'est le chant qui me donne le trac », note-t-elle.

Elle jouera, entre autres, une chanteuse folk... Une chanteuse folk dans Louis Riel ? « L'oeuvre est assez flyée, ç'a été écrit à la fin des années 60, donc il y a toutes sortes de personnages qui se transforment. Il y a un drame, du sérieux, mais aussi plusieurs éléments avant-gardistes et très actuels », explique Elisapie Isaac. 

Elle y voit un parallèle avec l'art actuel autochtone, qui puise autant dans les éléments traditionnels que dans les éléments modernes pour créer des métaphores simples mais riches, qui résonnent aujourd'hui. « Et ça, ça me plaît beaucoup ! »

DÉCOLONISATION

L'interprétation que faisait Jani Lauzon de ce personnage était très personnelle. Le chant devenait presque une déclamation, une prise de parole. « Moi, je vais davantage revenir à la mélodie, avec ma voix assez basse. J'ai eu beaucoup de liberté », indique celle qui chantera en métchif et en anglais.

Elle fera également partie de l'Assemblée de la terre, ce choeur muet constitué d'interprètes autochtones, dont plusieurs Hurons wendat de Wendake. « Les mouvements qu'on fait expriment la vulnérabilité et l'empathie qu'ils ressentent, la tourmente dans laquelle ils se trouvent. D'une certaine manière, c'est presque plus fort que les mots », constate la chanteuse.

Louis Riel évoque pour elle le leadership, le métissage, l'absence de peur. « Je trouve qu'on ne parle pas assez des Métis, alors qu'ils ont une histoire extraordinaire, surtout à cause d'un leader comme lui. Au départ, j'avais un peu peur parce que les personnages comme ça qui avaient des âmes, des esprits très forts, quand on commence à les imiter ou à retoucher leur histoire, il faut faire attention de conserver leurs esprits. Ce n'est pas que de l'opéra, ça va bien au-delà », explique-t-elle. 

Après la pendaison de Louis Riel, Elisapie Issac a l'impression que la colonisation s'est accélérée.

« Il faut maintenant se décoloniser. Juste dire qu'on parle aux esprits, ça ne se dit plus. On nous a tellement dit que ça n'existait plus, que notre culture n'existait plus. Mais on vit dans un monde d'esprits, et je trouve ça beau qu'on les fasse revivre. » 

- Elisapie Isaac

En cette année de 150anniversaire de la Confédération, qui réveille des sensibilités historiques, elle espère que l'oeuvre permettra aux spectateurs d'avoir davantage d'outils pour réfléchir à leur histoire, leur territoire et leurs voisins.

« Honnêtement, je m'en fous du 150e du Canada. Mais c'est bien de faire un opéra comme Louis Riel, parce qu'au lieu d'avoir une image lisse de la Confédération, on va pouvoir aller creuser plus profondément dans l'histoire et ramener ça aujourd'hui. »

Une réflexion qui sera d'autant plus féconde que l'oeuvre lyrique déborde de la fresque historique, en intégrant des touches de pop, de folk et de musique traditionnelle. « C'est important de faire ce mélange-là, surtout dans une pièce où il y a tellement d'autochtones, ça aurait été dommage de ne pas amener nos couleurs », souligne-t-elle.

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Au Grand Théâtre de Québec les 30 juillet, 1er et 3 août, 20 h