« C'est un démon. Ce qu'il a fait à ma famille est inqualifiable », déplore la voix serrée Paul Nye, dont la femme est morte d'une overdose d'Oxycontin, un puissant opioïde prescrit par le docteur américain William Hurwitz.

Ce médecin, sujet du documentaire Dr Feelgood présenté au festival du film de Los Angeles, « lui a prescrit 200 pilules lors de sa première visite, deux semaines plus tard il a doublé la dose », poursuit Paul Nye, alors que sa femme ne souffrait que d'un mal de dos, certes intense par moments.

Molly Shaw, une patiente, raconte à l'inverse dans ce film d'Eve Marson que William Hurwitz, condamné à plus de deux ans de prison en 2007 pour trafic de médicament, l'a « ramenée à la vie ».

« J'étais clouée au lit », « je disais que je préfèrerais un accouchement à cette douleur constante », se souvient, les larmes aux yeux, cette Américaine atteinte d'une altération des tissus nerveux.

Le docteur William Hurwitz était devenu à la fin des années 90 et au début des années 2000 un expert reconnu des traitements antidouleurs. Des centaines d'Américains venaient le consulter. Poursuivi par les autorités, il a d'abord été privé à plusieurs reprises de sa licence avant d'être jugé et emprisonné, à la suite de deux décès parmi ses patients.

Le cas du docteur Hurwitz, qualifié tour à tour d'irresponsable, trafiquant, naïf ou sauveur, est emblématique du fléau qui ravage les États-Unis: les overdoses d'opioïdes.

Elles fauchent quelque 20 000 vies par an dans le pays. Le légendaire musicien Prince est l'une des dernières victimes en date de l'hécatombe, qui tue dorénavant plus que les accidents de voiture et le sida.

Les médecins sont souvent montrés du doigt comme étant à la source du problème, accusés d'être trop laxistes dans leurs prescriptions d'antidouleurs dérivés d'opium, principalement l'Oxycontin, au coeur du scandale.

« Le but du film est de montrer que le problème n'est pas aussi simple que ''les laboratoires pharmaceutiques et les médecins ont créé une nation de drogués'' », explique à l'AFP la réalisatrice Eve Marson, venue présenter son documentaire au festival du film de Los Angeles, qui s'est terminé jeudi.

La cinéaste de 34 ans raconte avoir été sensibilisée au problème par des amis médecins internistes qui voyaient arriver dans leur service « tous les jours » des gens « accros » à ces pilules.

« Si vous êtes médecins, vous avez ces médicaments incroyablement efficaces pour traiter la douleur et les gens viennent à vous pour ça, et en même temps, vous avez la responsabilité de ne pas créer une dépendance », souligne-t-elle.

Les cas de praticiens poursuivis se multiplient, comme le cas d'une médecin condamnée pour meurtre en février en Californie.

Le docteur Hurwitz a toujours clamé sa bonne foi, affirmant que son devoir de médecin est de soulager la douleur, pas de jouer les policiers pour savoir qui suit bien son traitement, qui fait du trafic de médicament parmi ses clients.

Avec le recul, il reconnaît avoir résolu ce dilemme peut-être « trop facilement, en choisissant de faire confiance aux patients », au risque parfois de surprescrire, et de confier des pilules potentiellement mortelles à des patients qui les revendaient au marché noir.

Interrogé par l'AFP en marge du festival, il note aussi que la croisade des autorités contre lui et d'autres médecins n'a pas freiné l'envolée d'overdoses d'opioïdes ni la prolifération de ces pilules au marché noir.

Suicides sous-médiatisés

De nombreux médecins, terrorisés à l'idée de poursuites, se refusent à présent à prescrire des opioïdes, remarque-t-il, alors que selon les statistiques, entre 50 et 100 millions d'Américains souffrent de douleurs chroniques.

Dr Hurwitz estime aussi que si les cas d'overdoses sont très suivis par les autorités et médiatisés, les suicides liés aux douleurs intenses chroniques non traitées, découlant de suites d'accidents, de cancers, radio ou chimiothérapies, ne le sont pas.

Lorsque les médecins refusent d'augmenter les doses, beaucoup de patients se tournent alors vers le marché noir où ils risquent d'acheter des médicaments trafiqués, coupés avec des substances dangereuses comme le Fentanyl, un opioïde dangereux, 50 fois plus puissant que la cocaïne.

Pour tenter de freiner l'épidémie, les autorités ont émis des directives pour réduire les durées de prescription et tenter de réduire le nombre de pilules en circulation.

Eve Marson estime aussi qu'un meilleur partage des informations sur les patients éviterait à certains, devenus accros ou trafiquant ces pilules, d'aller « faire leur marché d'un médecin à l'autre ».