Huit auteures, un spectacle, un livre: le projet S'appartenir(e), qui réunit des femmes de tous les horizons - dramaturges, poètes et romancières -, ouvre le Festival du Jamais Lu avec la volonté de faire entendre une parole féminine et contemporaine. À la direction artistique, un trio composé de la metteure en scène Brigitte Haentjens, de la directrice du festival Marcelle Dubois et de la metteure en scène et directrice artistique du Théâtre du Trident de Québec, Anne-Marie Olivier. Nous avons posé quelques questions à Marcelle Dubois et Anne-Marie Olivier, qui signe aussi un texte dans le recueil.

LP: Joséphine Bacon, Marjolaine Beauchamp, France Daigle, Rébecca Déraspe, Emmanuelle Jimenez, Catherine Léger, Véronique Côté: comment avez-vous choisi les femmes qui participent au projet?

Anne-Marie Olivier: Je me sens comme le grand méchant loup quand je dis ça, mais... par appétit. Par désir. Parce que la parole de chacune nous intéresse, qu'on s'est dit que ce serait décapant ou beau, que ça ne pourrait pas être anecdotique.

LP: Quel est le fil conducteur?

AMO: C'est un échantillon de femmes d'aujourd'hui, qui prennent position. Elles se situent par rapport au monde, elles sont connectées sur différentes réalités et appartiennent toutes à notre monde d'aujourd'hui. Par exemple, la parole de Véronique Côté, qui est ma complice depuis longtemps, est importante. Elle est fondatrice, c'est un arbre, on en a besoin pour que l'air soit plus pur. Pour moi, c'est une question d'utilité. D'interprétation du monde, de filtration, de condensation, de sens aussi. De quête de sens.

LP: Il y a évidemment derrière ce projet le désir de donner la parole aux femmes.

AMO: Oui, mais il ne faut pas s'attendre à voir un nouveau féminisme. On est juste des filles qui prennent la parole. Il ne faut pas penser que ce sera Les fées ont soif 2! Ce n'est pas ça, on a juste voulu parler au monde. C'est des pensées qui nous traversent, nous préoccupent, qui sont sorties de nous. On est des filles et c'est correct. On ne s'excuse pas. On s'assume, mais on ne revendique pas quoi que ce soit comme étiquette, comme mouvement.

LP: C'est encore nécessaire?

AMO: Oui. J'ai grandi dans un monde où j'étais sûre qu'on avait atteint l'égalité. Maintenant que j'ai un petit poste de pouvoir, je me rends compte que ce n'est pas vrai pantoute. J'ai vraiment perdu mes illusions. Je ne suis pas quelqu'un qui milite, mais pas question qu'on me marche dessus, qu'on ne m'écoute pas ou qu'on pense que ce que je dis est moins important parce que je suis une fille. Quand j'ai fait le spectacle Faire l'amour avec Véronique Côté, les gars dans l'équipe disaient: c'est-tu un show de filles? Non!!! On ne dit jamais ça: c'est un show de gars...

LP: L'idée de publier un livre est venue après celle de créer le spectacle. Pourquoi?

Marcelle Dubois: C'est venu de Justin Laramée, codirecteur artistique invité du 14e Festival du Jamais Lu. Je l'ai invité à se joindre à moi cette année entre autres pour souligner l'arrivée de la collection Pièces d'Atelier 10, dont il est le directeur éditorial. Quand Justin a pris connaissance de notre création en construction, il a naturellement proposé que ce soit le prochain titre de la collection. En plein dans le mille des préoccupations de nos deux organismes qui défendent les paroles engagées.

LP: Quelle autre dimension le recueil donne-t-il aux textes?

MD: Je dirais que ça permet à ces paroles théâtrales de prendre une nouvelle envergure, une envergure qui s'apparente à des traces de notre époque, de notre désir de parole, de résistance lumineuse. Des traces laissées dans la littérature théâtrale qui fabriquera la pensée de demain.

Ces femmes parlent d'un territoire, d'une identité, de doutes et d'espoirs ancrés dans le présent. Elles ont longuement mûri leur texte. Nous avons travaillé sur une année et demie. Elles ont eu le souci de trouver le plus juste, le plus intime et collectif de leurs réflexions sur la question de l'appartenance. Permettre au public de lire ces paroles au-delà de la représentation théâtrale, c'est l'inviter, dans son chez-lui, à réfléchir à cette question capitale pour la suite de notre monde: à quoi appartenons-nous, ensemble?

À la représentation théâtrale, nous sommes traversés par leur vivacité, leur force brute et sans pudeur. On vibre avec elles. À la lecture, on a peut-être plus le temps d'établir un dialogue délicat et intérieur avec leur parole. Ce qui est une autre forme de délice.

LP: Le spectacle a déjà été présenté à Ottawa et à Québec. À quoi peut-on s'attendre vendredi?

AMO: On a hâte de le faire, mais l'énergie électrique est différente chaque fois. Tout est dans l'appréhension. Je pourrais prédire comment ça va se passer, mais la seule chose dont je peux être certaine, c'est que ce ne sera pas comme ça!

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S'appartenir(e) est présenté vendredi à 20h aux Écuries.