Pour commémorer un quart de siècle d'existence dans le paysage culturel montréalais, les Nuits d'Afrique nous ont concocté une programmation diversifiée et annonciatrice de renouveau. Du 12 au 24 juillet, se joindront à la mouvance musicale afro-montréalaise une pléthore d'artistes internationaux, dont la bassiste ivoirienne Manou Gallo, le Kényan Makadem, l'Éthiopienne Meklit Hadero, l'Haïtienne Émeline Michel, le Colombien Pablo Mayor, la Sénégalo-Gauloise Madjo, le Touareg nigérien Bombino, les Espoirs (guinéens) de Coronthie, le vétéran Meiway de Côte d'Ivoire, la Malienne Oumou Sangaré ou les incontournables Antillais de Kassav qui se produiront au grand parterre du Quartier des spectacles. Et qui parraine ces 25es Nuits d'Afrique ? Le saxophoniste camerounais Manu Dibango : à 77 ans, le grand-papa de la soul makossa et de l'afrijazzy revient parmi nous.

En 1972, le saxophoniste et compositeur camerounais était en route depuis un bon moment déjà. Au tournant des années 60, il avait joué dans l'orchestre congolais de Grand Kalle, triomphé en Afrique centrale, regagné la France où il vivait depuis 1949. Le colosse y dirigeait ses propres orchestres en plus de participer à ceux de Nino Ferrer et de Dick Rivers.

En 1972, ce fut la consécration planétaire, avec un des premiers mégatubes à provenir de l'Afrique moderne: Mamako mamasa makomakossa... heeeeey... soul makossa!

Qu'on ne s'y trompe pas, Dibango ne surfe pas exclusivement sur ce succès... qu'il joue encore pour le grand plaisir de ses fans. À 77 ans, le ténorman (et souffleur de sopranos) sait éviter les écueils du «has been», il n'a rien du pépé gâteux qu'on sort des boules à mites. Joint à son domicile français, en périphérie de Paris, le musicien a encore l'esprit vif et s'amène au Québec avec la ferme intention de nous secouer le popotin.

« Je tourne tout le temps, expliquet- il. J'arrive de Grèce. Je suis à Aix-en- Provence ce week-end. Je rentre chez moi dimanche pour repartir chez vous mardi. Je ne tourne plus vraiment aux États-Unis, mais je tourne beaucoup en Europe et en Afrique. Les États-Unis ne me manquent pas, j'y ai vécu deux ans dans les années 70 et j'ai arrêté d'y tourner à l'époque de Bush.»

Au fil de sa longue carrière, Manu Dibango a créé un groove instrumental très physique, mais aussi fondé sur des propositions musicales fortes, hautement sophistiquées.

«Makossa, funk, jazz soul, avec un parfum de Manu, résume-t-il. Jazz ? Je suis plus jazzy que jazz. Ça me plaît comme ça. Je ne suis pas un musicien de jazz, mais un bon amateur de jazz. C'est une coloration. Je travaille plus dans le groove. Mon problème à moi, c'est de faire une musique qui s'occupe des pieds. Certains s'occupent de la tête, moi je m'occupe des pieds!», pose-t-il avant de barytonner un rire contagieux.

D'abord le groove, donc. À l'instar de ses contemporains, Manu Dibango avait intégré à son groove d'Afrique centrale, la soul et le funk.

«C'était l'époque de James Brown, mais aussi Otis Redding, Motown, Stax... Ces musiques faisaient appel au corps. Dans le body & soul, il y a le body, quoi ! Et puisque l'Africain aime bien la musique physique, ça allait de soi. Je continue à m'occuper des pieds, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de soul dans ma musique. Je fais du body & soul», résume-t-il en s'esclaffant de nouveau.

Le makossa est un rythme urbain du Cameroun, Manu Dibango ne s'y limite lorsqu'il est question de matériaux africains dans sa musique: «Au delà du makossa, on y trouve de l'afrobeat, du siko, du mangabeu, de la rumba congolaise, de l'ambassibé, etc. Derrière tout ça, donc, il y a l'idée de l'Afrique centrale et de la soul quoi. Il m'arrive aussi de faire du reggae à ma manière... C'est une peinture, en quelque sorte. Je présente des trucs nouveaux et ce que les gens connaissent, sans compter des reprises comme Indépendance Chacha qui ont marqué l'Afrique. Vous verrez bien...»

En fait, Manu Dibango semble réprouver l'approche taxonomique lorsqu'il est question de sa musique. «Je fais des mélanges, ce n'est pas du collage», tranche-t-il.

Cette qualité se fonde non seulement sur la substance des compositions, des arrangements, mais aussi des interprètes de sa musique: «Je cherche les meilleurs. Qu'ils soient Africains, Européens, Américains, Blancs ou Noirs. L'idée, c'est de faire l'affaire. J'ai un Américain, des Français, un Arménien, des Camerounais, des Congolais. Chez moi, vaut mieux être bon, car je dois payer le même prix!», lâchet- il, encore hilare.

Visiblement, Manu Dibango est un homme fier de ses réalisations, et doublement fier des avancements de la musique africaine moderne.

«Je constate que nous pouvons compter aujourd'hui sur de meilleurs instrumentistes : Étienne M'Bappé, Richard Bona, Lionel Loueke, André Manga... Tous ces musiciens qui ont un savoirfaire et une éducation, c'est forcément une amélioration! En Afrique, d'ailleurs, on trouve aujourd'hui une foule de très bons groupes. Les jeunes musiciens ont eu des modèles que nous, musiciens de ma génération, n'avions pas. Le langage instrumental de haut niveau ne provient donc plus exclusivement des États-Unis ou de l'Europe.»

Le dernier passage de Dibango aux Nuits d'Afrique, dont il est le parrain cette année, remonte à 2003.

«On m'a demandé d'en être le parrain pour le 25e anniversaire et ça fait plaisir. Je connais ce festival depuis ses débuts, d'ailleurs. Cette fois, j'y viendrai aussi comme homme de radio pour Africa No 1,car j'y anime une émission chaque dimanche. Ça me permet de raconter mes près de 60 ans de musique africaine... De plus, je reçois les albums de partout en Afrique, ça me permet de rester au courant. Je ne sais pas exactement ce que je dois faire, mais je sais ce que je ne dois pas faire!»

Si nous avons bien compris, la musique garde jeune Manu Dibango? «Si vous avez bien compris, moi aussi!»

Parrain des 25es Nuits d'Afrique, Manu Dibango se produit mercredi prochain, 20h30, au Métropolis. Il sera précédé de Marianne Aya Omac.