Le zajal est une joute fondée sur une poésie chantée. Cette discipline nécessite une grande maîtrise de ses duellistes qui se relancent en improvisant. De cette forme séculaire ancrée dans le patrimoine libanais s'inspire Zad Moultaka.

«Dans une forme primitive, on trouvait le zajal au Liban dès le 7e siècle. Son essor véritable ne s'est produit qu'au 19e siècle, c'était alors devenu une discipline hautement virtuose. Le zajal rayonnait alors dans toute la région - Liban, Palestine, Syrie, etc. » explique Zad Moultaka, compositeur multipolaire dont l'approche puise autant dans les musiques contemporaines que dans les héritages culturels qui en ont tatoué l'inconscient. Particulièrement celui de ce pays qui l'a vu naître et qu'il a quitté il y a un quart de siècle afin d'en fuir la violence de la guerre civile.

Ainsi, l'artiste a passé plus de la moitié de son existence en France, ce qui a certes catalysé les hybridations de son système compositionnel. Musiques écrites, pour être précis.

«J'ai choisi le langage, disons occidental, celui de la musique contemporaine si on veut s'en tenir à de telles appellations. En même temps, je cherche (entre autres) dans mes racines orientales. Mais je ne cherche à atteindre ni fusion ni équilibre entre ces mondes. J'exprime ce qui fait partie de moi, j'essaie de travailler avec cette matière. C'est l'écriture qui m'apprend des choses sur moi-même.»

Le zajal, cette fois, lui a appris des choses.

«Quand j'étais petit, c'était assez présent dans mon environnement culturel... et pas toujours très bien vu; le zajal était considéré comme une petite forme populaire en arabe dialectal, plus ou moins dénigrée...  Aujourd'hui, puisqu'il y a un retour de cette forme au Liban et dans la région, je m'en suis inspiré pour faire autre chose. J'ai entrepris de questionner la forme opératique en m'inspirant de ces joutes.

«Le verbe, donc, la poésie en est le noyau. Les mélodies y sont un peu rudimentaires, inspirées des chants religieux syriaques, ces chants qui tournent sur quatre notes. Improvisées avec des ornements différents, les lignes mélodiques y sont récurrentes. La rythmique est aussi récurrente, l'instrumentation reste simple. Je suis parti de cette matière que j'ai ensuite développée.»

Le déclencheur ? Il y a dix ans, Zad Moultaka est tombé sur le manuscrit d'une joute cruciale dans l'histoire du zajal, joute que son père lui avait raconté maintes fois depuis sa tendre enfance.

«Cette joute avait eu lieu dans un village libanais, un soir de 1909. Le duel avait mis aux prises un jeune jouteur masqué qui voulait défier un jouteur d'expérience et de renom afin que ce dernier cautionne son talent supérieur. Il s'avéra au bout de compte que le jouteur masqué était le fils du vétéran. Ce jeune génie avait ensuite acquis une renommée à travers le Moyen-Orient, il avait même professionnalisé la pratique du zajal en fondant une troupe.»

À partir des formes musicales originelles du zajal, Zad Moultaka a extrapolé une instrumentation pour cuivres: tuba, trombone, cor, trompette, saxophones (ténor et baryton, sans compter le sopranino pendant un petit segment), percussions, gongs, vibraphone, grosse caisse, le tout interprété par l'ensemble Ars Nova avec qui le compositeur a déjà travaillé.

Avec cet orchestre se trouve une seule chanteuse sur scène: Fadia Tomb El-Hage. Une femme incarne le jeune homme ? Entourloupette à l'histoire, gracieuseté du compositeur qui explique sommairement cette diffraction:

«Dans le premier acte, le père est représenté sur écran, on le retrouve dans les enceintes acoustiques dans le troisième (et dernier) acte. Ainsi, la joute a lieu avec quelqu'un d'à la fois présent et absent; via l'écran, le père virtuel surplombe l'orchestre et la chanteuse. Et lance le défi. D'un point de vue archétypal, c'est le rapport pesant au père arabe, mais aussi le rapport pesant entre une tradition moyen-orientale presque immuable et une modernité qui veut faire sa place malgré tout.»

Zajal, opéra arabe, est présenté ce vendredi, 20h, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts