Le festival Osheaga s'est poursuivi samedi avec sa brochette éclectique d'artistes. Nos journalistes étaient sur place pour livrer leurs impressions sur les principaux spectacles.

Muse

Moins d'un mois après les plaines d'Abraham, c'était au tour de l'île Note-Dame hier d'accueillir l'exubérance du mythique trio anglais Muse, point d'orgue d'un samedi en partie débarrassé de la pluie qui, la veille, avait tant joué les trublions. 

Plutôt mal servie par sa discographie récente, la bande de Matthew Bellamy n'a pas hésité à multiplier les détails de mise en scène - projections vidéo, atmosphère sci-fi, éclairages monumentaux, etc. - et à piger dans un passé plus fécond, qui confine (avec raison) de nombreux fans à la nostalgie. Mais même les titres les plus faibles de Drones, opéra-rock paru en 2015, ont pris de nouvelles couleurs sous l'impulsion scénique des trois musiciens : on s'est pris à redécouvrir pour le mieux Dead Inside ou Mercy, livrée en fin de parcours sous une pluie de confettis. 

Le temps d'essuyer l'eau laissée par une brève averse sur la scène, Muse est apparu vers 21h30 sur les planches en assénant leur plus récent simple, Dig Down. Le ton était donné : ce serait d'abord affaire de prouesses guitaristiques. Matthew Bellamy, arborant des lunettes bleu et rose fluorescentes et une paire de pantalons rouge écarlate, a pointé la sienne au ciel avant d'entonner Psycho, largement instrumental. À ses côtés : le bassiste Christopher Wolstenholme et le blond batteur Dominic Howard, tous deux dans une forme inébranlable.

Est venue ensuite Hysteria, du disque phare Absolution, conclue par un petit riff de Back in Black d'AC/DC, avec qui Muse partage son producteur. Le groupe allait ensuite retourner en 2003 pour Time Is Running Out et Stockholm Syndrome, pendant laquelle les Feux Loto-Québec sont venus colorer le ciel. Comme si les artifices de Muse s'avéraient insuffisants...

Il a aussi fallu, bien sûr, regarder du côté Black Holes and Revelations (2006) : la populaire Starlight et le hard rock électro et hypnotique de Supermassive Black Hole ont reçu un accueil privilégié. Peu bavard, Matthew Bellamy a tout de même osé, dans la langue de Karkwa, un « Merci, mesdames et messieurs ». 

Petite accalmie pendant Madness, plus posée, où les guitares tapageuses se sont assagies. Tout le parterre chantait en choeur, bras synchrones dans les airs. 

Pendant tout le concert, les écrans géants montraient tour à tour les visages distordus et décolorés des musiciens, des humanoïdes ou des graphiques futuristes. Au terme de cette soirée dominée par les guitares épiques, les fans en ont redemandé. Après Uprising, notamment popularisé par le jeu Guitar Hero, les notes de Man with Harmonica, d'Ennio Morricone, ne laissaient aucun doute : allait s'ensuivre un solo psychédélique et l'exaltante Knights of Cydonia. Matthew Bellamy a momentanément exhumé le charisme d'un Freddie Mercury.

Si l'album Drones, sans être complètement mauvais, avançait à tâtons dans un nuage d'influences, le concert d'hier a été l'occasion d'en extraire la matière brute et la relative puissance : le rock, pour faire court. Muse a ainsi confirmé que sa pertinence se mesure maintenant sur scène, bien plus qu'en studio.

- Charles-Éric Blais-Poulin

Broken Social Scene: rendez-vous manqué



Au départ, ils étaient six: cinq hommes aux cordes et une batterie martelée solidement. Broken Social Scene a amorcé son tour de chant avec un morceau rock très mélodieux. À la troisième chanson, ils étaient 10 - la biographie officielle de ce supergroupe canadien mené par Kevin Drew précise qu'ils peuvent être jusqu'à 19 à partager une même scène.

Mais ni l'addition des cuivres, ni Emily Haines (de Metric) arrivée en renfort n'ont vraiment réussi à conquérir l'assistance, très dissipée, voire indifférente, à l'exception d'un noyau d'admirateurs.

Qu'est-ce qui clochait ? On ne vous fera pas le coup des deux solitudes. Des problèmes de son, un répertoire peu connu même pour les plus fervents (un nouvel album est sorti en juillet) et une longue séquence slow tempo expliquent peut-être la léthargie des festivaliers. « C'est comme une Molson Canadian, philosophera un de nos voisins. C'est... honnête. »

L'annonce que le groupe aurait droit à 10 minutes supplémentaires en raison du retard de Tory Lanez n'a donc pas été accueillie par des cris de joie. « If it ain't broke, don't fix it», dit l'expression anglaise. Dans ce cas-ci, Broken Social Scene devrait probablement tirer des leçons de l'expérience. 



- Marie Bernier




Jain: tous ensemble

Question quiz : quel artiste est capable de reprendre la chanson thème du dessin animé Inspecteur Gadget, de la déposer sur une base hip-hop et de faire sauter sur le même tempo des centaines de festivaliers en plein après-midi ? 

Réponse : Jain, qui a donné à Osheaga samedi son 200e spectacle depuis le début de sa tournée Zanaka. Et quel spectacle ! Seule sur scène, la révélation française s'est démultipliée grâce à sa boîte à rythme, qui a fait entendre trois, voire quatre Jain à la fois. Le même stratagème lui a permis d'intégrer à ses pistes de pop métissée des sons de la foule, qui obéissait avec enthousiasme à cette chef d'orchestre au col Claudine. 

Elle n'empoignera sa guitare que pour interpréter Come, le succès qui l'a fait connaître sur cette rive de l'Atlantique. Mais pendant sa chanson Paris, composée au lendemain des attentats de novembre 2015, nul besoin d'indications: c'est naturellement que des festivaliers ont levé leurs doigts en signe de paix. Pas de doute que l'audience a passé un très bon moment en compagnie de cette dynamo sautillante de 25 ans. Et un point bonus pour l'interactivité !

- Marie Bernier

Father John Misty sert son angoissante dystopie



Veston noir, chevelure et barbe abondantes, lunettes fumées et guitare au ventre : sous ses airs de dandy des ténèbres, Joshua Tillman, alias Father John Misty, n'a eu aucun mal à téléporter la foule dans son angoissante dystopie, Pure Comedy. D'un côté, des images apocalyptiques de la Terre, des nuages de fumée qui flottent sur la scène et des propos ultrapessimistes sur la suite du monde. De l'autre, un charisme indéniable, une voix apaisante dans le sillon d'un jeune Elton John et quelques coups de pioche du côté du plus lumineux I Love You, Honeybear. Entre tout ça, un chanteur entier, pleinement dévoué à son micro et à son public. Puis à sa cigarette pendant l'hypnotique When the God of Love Returns There'll Be Hell, qu'il a achevée à genoux. Le ciel s'est couvert peu à peu, et alors qu'il fallait partir, la pluie s'est mise à tomber. La mise en scène parfaite pour Father John Misty.

- Charles-Éric Blais-Poulin

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Jain

Liam Gallagher, sans accroc ni sourire

Liam Gallagher, moitié énervée - et parfois énervante - de la fratrie animant jadis la formation culte Oasis, n'a pas répété l'affront commis à Chicago jeudi, c'est-à-dire quitter la scène après vingt menues minutes en raison de « problèmes vocaux ». 

L'enfant terrible de la britpop, dans sa parka caractéristique zippée jusqu'au cou - « Quelqu'un m'a dit qu'il faisait froid ici ! » - s'est rendu au bout de ses 45 minutes sans accroc ni sourire, devant une simple inscription en caractère gras : « Rock'n'roll ».  

C'est d'ailleurs avec Rock'n'Roll Star, vieille de 1994, que Gallagher a lancé l'affaire. Le chanteur sous-estimé de 44 ans a certes pigé dans les classiques imputés à son frère Noel (Morning Glory, Slide Away, Be Here Now), mais il aussi plongé dans son premier album solo, As You Were, à paraître le 6 octobre. 

Parmi quoi : non seulement les deux premiers simples à avoir percé l'Internet légalement, les efficaces Wall of Glass et Chinatown, mais aussi quelques exclusivités, dont Bold

Gallagher semblait défendre ses créations récentes avec davantage d'aplomb que les vieux succès d'Oasis, qu'on aurait dit crachés par dépit et d'une voix fragile. Exception faite de Wonderwall, en clôture, qui a transformé le parterre de la scène de la Montagne en karaoké géant. Les fans d'Oasis sont bien en vie. Liam, lui, tente peu à peu de gagner les siens. « Vous étiez incroyables », leur a-t-il glissé.

- Charles-Éric Blais-Poulin



Major Lazer: m
échant party

Avouons-le : nous étions un peu sceptique avant le passage sur scène du trio de DJ. Ce n'est pas que Diplo, Jillionaire et Walshy Fire manquent de matériel, loin de là (vous pensez que vous ne connaissez aucune chanson de Major Lazer ? Vous vous trompez). Reste que leurs nombreux hits portent la signature vocale d'invités prestigieux - Justin Bieber, MØ, Nyla...- et que ceux-ci n'ont pas fait le voyage jusqu'à l'Île Notre-Dame.

Mais comme nous avions tort. C'est un méchant party (il n'y a pas d'autres mots) que Diplo a officié à partir des platines, alors que ses acolytes se chargeaient essentiellement de l'animation. Tous les moyens ont été pris pour faire oublier les absents : flammes, danseuses maîtres ès « twerk », une sorte de bulle permettant au DJ qui le désire de « rouler » sur la foule, mais surtout un set ne souffrant d'aucun temps mort.

Et les milliers de spectateurs, dansant et chantant en choeur, en redemandaient. Même l'arrivée de la pluie n'arrivera pas à refroidir leurs ardeurs. La fête s'est terminée comme il se doit dans les confettis, alors que le nom de Major Lazer était projeté une dernière fois sur l'écran géant - précaution inutile, personne ne risquant d'oublier cette soirée de sitôt. 

- Marie Bernier

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Liam Gallagher