Depuis nombre d'années, le samedi et le dimanche du Festival international de musique actuelle de Victoriaville donnent préséance aux familles du jazz contemporain, de la musique improvisée et de la bonne vieille (...) musique actuelle. Ce choix de grille-horaire tient-il toujours la route au 30e anniversaire ?

Ce week-end, en tout cas, une salle s'y prêtait à merveille : le Pavillon Arthabaska, situé au sommet d'un mont (du même nom) qui surplombe la région. On y ressent une chaude ambiance contrairement à la froideur de l'aréna local, même si fringué pour les occasions spéciales. Actuellement en reconstruction, le Cinéma Laurier pourrait reprendre du service l'an prochain, mais il y a quand même lieu de poursuivre l'expérience dans les altitudes de Victo. 

Pourquoi, au fait, ne pas installer les musiques d'écoute soutenue, celles dont le public a de sérieux problèmes de croissance depuis belle lurette, dans des salles confortables et réserver l'aréna, sans table et chaise, aux fréquences plus abrasives destinées aux têtes chercheuses de rock et d'électro hard? Le FIMAV pourrait alors devenir autre chose qu'un congrès de mélomanes limité à plus ou moins 5000 entrées payantes...  Enfin, on s'en reparlera au 50e anniversaire!

Le plus beau concert de samedi, d'ailleurs, fut présenté au Pavillon Arthabaska : Evan Parker, saxophones soprano et ténor, Fred Frith, guitare et cossins multiples. Deux maîtres y ont transcendé leur jeu respectif, parvenant à des sommets de finesse et de délicatesse. Improvisations magnifiquement horizontales : chapelet de motifs, usages multiples des harmoniques et textures des instruments, usage iconococlaste des instruments. Pendant qu'Evan Parker a calmement fait vibrer les anches, Fred Frith a posé régulièrement sa guitare sur ses genoux, a encore trouvé le moyen d'explorer de nouvelles avenues comme il le fait depuis les débuts de sa longue carrière.

Ce dimanche après-midi, Evan Parker remontait sur scène avec l'ElectroAcoustic Septet : quatre instruments à vent (Peter Evans, trompette, Ned Rothenberg, clarinettes, Evan Parker, saxophones, George Lewis, trombone), un violoncelle (Okkyung Lee), trois dispositifs électroniques (George Lewis, Ikue Mori, Sam Pluta). Riche vocabulaire, intégration judicieuse de musiques instrumentales et électroniques, propositions denses et concluantes. Voilà une illustration probante de l'improvisation libre en 2014.

Quant au concert précédent donné dans la même salle, on ne peut que hausser les épaules... Évidences dans le vocabulaire de l'improvisation libre côté François Carrier (saxophones) et Michel Lambert (batterie). Bien que techniquement aguerris et d'autant plus expérimentés, ces musiciens ne nous apprennent pas grand-chose que l'on sait déjà sur ce type de musique improvisée... «La bonne moyenne», confie un spectateur assis à mes côtés. Difficile de le contredire... même si Carrier mène une carrière internationale et ne s'avère nullement prophète en son pays.

Toujours au Pavillon Arthabaska, les hipsters convertis à la musique improvisée ont été ravis par le concert dominical donné par Colin Stetson (saxophones basse et ténor, clarinette contrebasse) et Sarah Neufeld (violon), tous deux associés de près à la mouvance indie - Arcade Fire, Bon Iver, Bell Orchestre, etc. Rappelons que Stetson peut compter sur un énorme capital de sympathie à l'échelle internationale, étant l'initiateur d'un style combinant respiration circulaire et exploration des harmoniques (graves et aigus) de ses instruments (ou de sa propre voix) via microphones de contact. Les cycles de notes s'enchaînent, les structures s'avèrent simples et accessibles pour l'oreille non avertie. La majorité s'étonnera de ces sonorités inédites, se montrera éblouie... pendant que la minorité estimera avoir fait le tour du jardin au bout d'une vingtaine de minutes.    

La veille, le jazz world élisait domicile au Colisée des Bois-Francs. Les mélomanes ont alors droit à une addition A + B de musique classique arabe, particulièrement irakienne (d'où sortent tant de grands oudistes, on pense au fabuleux Naseer Shamma), et de jazz contemporain:le projet Haram, de Gordon Grdina. Ce musicien de Vancouver n'est certes pas un vilain joueur d'oud, ses impros sont généralement solides bien qu'elles manquent parfois de fluidité. Ses choix orchestraux sont aussi intéressants (selon les normes admises par le jazz contemporain depuis les années 80), les solistes s'avèrent de très bon niveau (François Houle, clarinette, Chris Kelly saxo ténor, les frères Josh et Jesse Zubot, violons, pour ne nommer que ceux-là), et le contingent arabisant de niveau acceptable (Ermad Armoush, chant et ney, Tim Gerwing, darbouka, Liam McDonald, riq). Cela étant, une impression récurrente d'être assis entre deux chaises... 

Le plat de résistance de samedi, enfin la commande la plus ambitieuse du FIMAV si l'on exclut l'évocation de Sun Râ présentée jeudi par le Ratchet Orchestra, avait été passée à Ken Vandermark, illustre jazzman contemporain. Le projet Audio One réunissait des collègues musiciens de Chicago où vit le saxophoniste virtuose (baryton dans le contexte de samedi), improvisateur et compositeur. Au chapitre de la composition, la rigueur et le travail sont de mise. 

Sans qu'on en perçoive une véritable facture Vandermark, ces compositions neuves illustrent plusieurs avancées du jazz contemporain, le tout étoffé d'improvisations de haute tenue - les saxophonistes Dave Rempis, Mars Williams et Nick Mazzarella, le cornettiste Josh Berman, etc. Beau concert, en somme... et plutôt convenu si l'on se place dans le contexte de la musique actuelle, dont la célébration se termine demain soir pour une trentième année.

PHOTO MARTIN MORISSETTE, FOURNIE PAR FIMAV

Evan Parker et Fred Frith,

PHOTO MARTIN MORISSETTE, FOURNIE PAR FIMAV

Ken Vandermark