Sauf exception, le vendredi du 27e Festival International de musique actuelle de Victoriaville a été consacré au bruit. Bruit organisé, il va sans dire. La noise music peut paraître gratuite pour qui ne s'y trempe les tympans qu'en de rares occasions. On peut y conclure à une série d'effets superficiels d'une avant-garde en proie au maniérisme et à l'affectation. Vraiment? Lorsqu'on y porte une attention plus soutenue, on peut distinguer le bon grain de l'ivraie et recevoir la claque comme elle doit être reçue.

Le plat de résistance fut servi à 22h au Colisée des Bois-Francs. Pour ériger la grande muraille bruitiste, la plus redoutable jamais construite au FIMAV en ce qui me concerne, on a réuni les Américains du trio Wolf Eyes (Mike Connely, John Olson, Nathan Young), le Français Richard Pinhas et le Japonais Masami Akita alias Merzbow. L'arsenal comprenait guitares, voix, saxophones et tout un assortiment d'outils électroniques.

Irruptions violentes, malstroms, remous, tourbillons, cyclones, voilà autant de termes qui ne peuvent décrire que partiellement ce à quoi on a eu droit. Plus d'une heure de volume poussé à l'extrême, heure à travers laquelle on a pu percevoir une variété probante d'épais sédiments sonores triturés en direct par cinq bruitistes de haute réputation. Inutile d'ajouter que les férus du genre en ont pris plein la gueule au coeur de la salle des machines.

Autre plat de choix, la peinture en direct de Norton Wisdom et les fréquences de Nels Cline, fort différentes de ce que le guitariste californien suggère au sein de Wilco -auquel il collabore depuis 2004. Sur un écran lumineux qui sert de toile, Wisdom enchaîne les illustrations en temps réel pendant que Nels Cline procède à différents jeux de fréquences. Dans le cas qui  nous occupe, le doigté et l'articulation de phrases mélodiques ne font pas partie du langage. Cline préfère laisser progresser différentes couches superposées de sons filtrés de son instrument, du registre grave à l'aigu. Essentiellement textural, ce langage vient appuyer l'incroyable présence picturale de Norton Wisdom. Les représentations ne cessent de se transformer en fondu enchaîné; femmes aux yeux crevés, madone extra-terrestre, femme pharaonne, fauve, représentation de Gaïa et plus encore.  Une heure de grande sensualité passée au Cinéma Laurier.

En fin de soirée, la salle «intime» du Colisée des Bois-Francs accueillait  le DJ français Erik M, «qui s'est imposé comme platiniste majeur, au même titre que Christian Marclay, Martin Tétreault et Otomo Yoshihide », rappelle-t-on au FIMAV. À ses côtés, l'Allemand FM Einhet qui s'est fait connaître naguère au sein d'Einstürzende Neubaten, formation pionnière du rock dit industriel. À n'en point douter, l'étiquette est restée collée sur le mec: marteau cogné sur un immense ressort affublé de micro-contacts, plaque amplifiée maltraitée au moyen de différents outils, dont une perceuse de marque Makita -la Fender du rock indus? Je préfère la DeWalt... Franchement, l'exercice a eu tôt fait d'atteindre les limites de la caricature. Y voir encore une «démarche» résulte à mon sens d'une certaine nostalgie des années 80. Le geste a déjà été posé, on se demande ce qui justifie une telle redondance trois décennies plus tard.

Trio de Québec présenté en découverte, La Part maudite s'est produite en fin d'après-midi. Le trompettiste Philippe Battikha avait réfléchi à son affaire: l'usage de nombreux filtres le démarque d'emblée de tous les Jon Hassel, Erik Truffaz et Ibrahim Maalouf de ce monde. Beaucoup plus agressif, plus proche du hardcore ou du métal. Pourquoi  pas? Ça fait son effet pendant un moment... et on a tôt fait le tour du jardin; le vocabulaire de la section rythmique (Mivil Deschesne, basse, Patrick Dion, batterie) étant relativement limitée dans les métriques rock de base. On attend la suite...

Seul élément non bruitiste au programme de vendredi, le pianiste canadien Paul Plimley, un habitué de Victo. On sait sa propension à l'improvisation libre. L'heure passée en sa compagnie, ma foi, fut agréable. Bonne technique, bonnes idées, spectre assez vaste de possibilités, explorations atonales, tonales ou modales. Bref, il couvre à sa manière l'ensemble du langage pianistique de la musique contemporaine improvisée. Musicien d'expérience, Paul Plimley sait raconter une histoire et c'est pour cette raison précise qu'il est toujours là.

Le 27e FIMAV se poursuit ce samedi : Zeena Parkins et The Adorables, 13h, The Rachet Orchestra, 15h, Mia Zabelka «M», 17h, Peter Brötzmann Trio, 20h, Anthony Braxton «Echo Echo Mirror Mouse», 22h, Anthony Patera /Maz Kohane, 00h15.

Pour infos : https://www.fimav.qc.ca/