«Le théâtre est fait pour être porté par un texte», pense Sami Frey. L'acteur français estime visiblement que c'est vrai de la scène au sens large puisqu'il revient au Festival international de la littérature avec non pas une pièce, mais un récit de Samuel Beckett, Premier amour, qu'il livre en solo.

Sami Frey a tourné avec Clouzot, Godard, Sautet, Varda et Blier et campé un saisissant Artaud pour Gérard Mordillat (En compagnie d'Antonin Artaud, 1993), mais c'est d'abord un acteur de théâtre. «Le cinéma a été pour moi plus aléatoire, dit-il sans fausse modestie. Disons qu'au théâtre, j'ai choisi, et qu'au cinéma, j'ai été choisi, pour dire les choses dans leur réalité -cruelle de temps en temps.»

Ce qu'il a choisi d'être, au théâtre, c'est d'abord un acteur littéraire. Sami Frey a joué Claudel sous la direction de Jean-Louis Barrault, s'est frotté à Peter Handke et Pirandello sous Claude Régy, sans compter qu'il a aussi interprété des textes de Carlos Fuentes, Henry James, Heiner Müller (avec Jeanne Moreau) et Harold Pinter.

«J'ai toujours pensé que le théâtre était fait pour être porté par un texte, expose-t-il. J'ai toujours eu envie des textes et du théâtre où on pouvait se confronter à un texte pour une longue période. Si le texte ne résiste pas au temps, c'est l'horreur. J'ai toujours travaillé avec des auteurs, pour des auteurs, afin que le texte résiste à l'usure.»

Son engagement envers les textes l'incite depuis plusieurs années déjà à s'adonner à des lectures en public. Il a commencé avec Je me souviens de Georges Perec, en 1988, mais s'y adonne plus fréquemment depuis 2007, année où il a concocté une lecture -lui préfère parler «d'installation»- de Cap au pire, difficile roman de Samuel Beckett qu'il lisait sur scène, le visage éclairé par l'écran d'un ordinateur portable. Un moment unique qu'avaient d'ailleurs goûté quelques centaines de spectateurs, au FIL, il y a trois ans.

Encore Beckett

Avec Premier amour, qu'il porte depuis la fin de 2009, Sami Frey passe de «l'installation» à «l'incarnation». En usant d'un minimum d'artifices et d'accessoires qui fait écho à la langue économe de Beckett, l'acteur interprète ce personnage énigmatique qui raconte sa relation avec Lulu, femme rencontrée sur le banc public où il avait élu domicile.

«Je l'ai imaginé comme quelqu'un qui dit «je» à propos d'une histoire qui s'est passée il y a très longtemps, mais qui doit en quelque sorte la revivre», dit le comédien à propos de son personnage. Soucieux de ne pas parasiter le texte, Sami Frey a opté pour une scénographie minimale: des éclairages, un environnement sonore et un espace «contraignant». «Un peu comme s'il était dans les cercles de la Divine comédie -l'enfer, le paradis ou le purgatoire, au choix-, dans une tombe ou dans un couloir d'hôpital.»

L'acteur dit n'avoir eu aucun effort à faire pour dynamiser l'étrange et parfois férocement drôle récit à une voix qu'est Premier amour, tout premier texte écrit directement en français par l'écrivain irlandais. «La langue de Beckett est très théâtrale en elle-même, fait-il valoir. C'est une langue qui, dès que vous ouvrez la bouche, révèle une tension absolument formidable.

«Il y a une approche du français chez Beckett qui est irrésistible. Il la considère un peu comme une langue exotique. Il y a à la fois la plus grande exactitude et la plus extrême dissolution, résume Sami Frey. C'est tout à fait réjouissant.»

Premier amour, de Samuel Beckett, mise en scène et interprétation de Sami Frey, du 22 au 25 septembre. à l'Usine C.