Handmade, son premier album, est à l'image de notre temps planétaire. Née à Khouribgha il y a 30 ans, Hindi Zahra est de cette génération de non-Occidentaux ayant parfaitement saisi l'Occident, mais aussi le reste du monde qui compte de plus en plus dans notre imaginaire.

«Je suis originaire du sud du Maroc, j'ai vécu dans différentes villes avec ma famille, raconte Hindi Zahra. Je suis arrivée à Paris à l'âge de 13 ans. Je faisais de la musique depuis l'enfance. Ma mère était chanteuse et faisait du théâtre, mes oncles étaient musiciens et chanteurs professionnels. On vivait en tribu, les oncles, les tantes, les grands-parents. On faisait très souvent de la musique à la maison. J'y ai appris la musique, l'improvisation, la création de mélodies...»

Hindi Zahra n'est pas arabe. Elle est amazighe, c'est-à-dire berbère. Elle est issue de ce peuple autochtone réparti dans tout le nord de l'Afrique bien avant l'arrivée des Arabes il y a un peu plus d'un millénaire. D'une vie traditionnelle en voie de modernisation, Hindi Zahra a basculé dans la société française. Direct dans le 5e arrondissement. Un choc? Mets-en.

«Au cours des cinq premières années, je suis restée dans mon cercle familial. J'ai mis beaucoup de temps à avoir des amis. Je suis restée dans la nostalgie de mon pays, dans la culture marocaine, la manière de vivre... Ma famille restait connectée au Maroc, on y retournait régulièrement. Et puis, j'ai commencé à rencontrer des musiciens à Paris, à jouer dans les clubs de jazz, à prendre des cours de chant.

«J'ai constaté à quel point il était difficile d'en faire un métier. Surtout la manière dont je voulais l'exercer. Je voulais faire de la scène, je n'étais pas vraiment intéressée par l'enregistrement. Pour moi, la musique faisait partie du quotidien, de la rue comme de la maison. On ne l'apprenait pas dans les conservatoires.»

La société traditionnelle, il faut le rappeler, exclut toute dissociation entre la culture et le reste de la vie. Hindi Zahra en est-elle vraiment sortie? Poser la question...

«J'ai grandi avec des femmes qui faisaient de la broderie, de la cuisine, des huiles, des potions. Ça m'a fortement influencée et inspirée. En France, j'ai fait des études de comptabilité et de droit, mais l'école n'a jamais été pour moi intéressante. On y prend les jeunes pour un disque dur dans lequel on stocke des informations; c'est aussi le cas au Maroc désormais. Un cerveau ne doit piger qu'une seule chose. En France, j'ai été frappée par le dénigrement du travail fait avec les mains. Enlever le savoir des mains, c'est enlever un pouvoir incroyable!»

Voilà d'ailleurs pourquoi Hindi Zahra a nommé son premier album Handmade. «À ma petite échelle, et très humblement, j'ai voulu parler de cette surspécialisation. Je préfère un album fait avec les mains, avec des musiciens qui travaillent avec leurs mains, qui sont des artisans.»

Les influences de l'album y sont variées: blues et grooves sahariens (non sans rappeler les cultures touareg et gnawa), mais aussi chants folk-pop et autres influences étrangères ayant traversé le Maroc. À commencer par les Afro-américaines, d'autant plus qu'Hindi Zahra s'y exprime surtout en anglais.

«La zone qui entoure le Sahara, fait-elle observer, a brassé énormément de cultures. Ainsi, mon père parle cinq langues, mes oncles chantent en anglais et en allemand, ma cousine chante même en hindi, ayant appris cette langue par la musique des films bollywoodiens qui marchent très fort au Maroc. Le français? J'avoue franchement ne pas avoir assimilé, même en vivant en France... Adolescente, j'étais beaucoup plus touchée par la musique noire américaine - soul, R&B, jazz primitif, hip-hop marchent très fort au Maroc, parce que nous sommes sensibles au groove. Depuis, je me suis ouverte à plusieurs autres genres étrangers. «

Toute cette transculture a conduit Hindi Zahra à faire un travail à la fois très pop et très incarné.

«Ça a été fait dans la simplicité car je voulais une forme chanson, alors que la musique africaine n'a pas de format. Je voulais y introduire le berbère, mais ne pas trop l'utiliser afin d'éviter toute saturation. Je voulais un métissage, sachant qu'il est très délicat d'avoir plusieurs influences dans une même chanson. Or, dans la plupart des morceaux, il y a ce son marocain. Il y a aussi la liberté de la musique afro-américaine. Je m'y retrouve car je suis à la fois noire et blanche. Ce qui m'intéresse au bout du compte, c'est ce qui fédère les gens. Où l'élite n'est pas créée.»

Hindi Zahra, au National, le 15 juillet, à 20h30. En première partie: Sokun.