La vulgarisation scientifique se porte bien au Québec, avec la revue Québec Science qui fête ses 50 ans,Les Débrouillards qui fêtent leur 30e anniversaire, et des émissions de télé et de radio commeDécouverteLe code Chastenay et Les années-lumière. Mais qu'en est-il de la culture scientifique? Sommes-nous incultes ou plus informés que jamais?

Raymond Lemieux est rédacteur en chef de Québec Science depuis 18 ans et vient de publier un livre sur l'histoire de la revue. Pour lui, la connaissance de la science est nécessaire, surtout pour mieux comprendre notre monde, les idées et les enjeux sociaux qui l'agitent, et non pour des raisons utilitaires.

En lisant le livre de Raymond Lemieux, on constate que le Québec part de loin. Le communicateur passionné «ose croire» que les Québécois, maintenant décomplexés, sont mieux informés qu'avant. «J'ai été fasciné pendant le débat sur les gaz de schiste: les gens avaient des notions de géologie et ils attendaient des réponses scientifiques à leurs questions.»

Pour Pierre Noreau, président sortant de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS), la culture scientifique est d'abord un état d'esprit. «C'est avoir la curiosité de connaître plus et mieux.» Et selon ce qu'il observe partout en Occident, il ne croit pas que les Québécois soient moins bien informés que d'autres.

Une étude menée par le Conseil des sciences et technologies en 2002 lui donne raison. Les Québécois se révèlent aussi bien renseignés que les Européens et les Américains pour ce qui est des connaissances scientifiques de base, mais le degré de scolarité est un «facteur déterminant» de cette culture.

Culture Wikipédia

Si on juge le degré de connaissance scientifique par le débat entre le créationnisme et la théorie de l'évolution, le Québec fait bonne figure: selon un sondage Angus Reid réalisé en 2010, 35% des Américains font confiance à Darwin, contre 66% de Québécois et 61% de Canadiens. Seulement 17% des Québécois interrogés croient que l'être humain est apparu sur Terre comme le décrit la Bible, le plus bas pourcentage au Canada. «Mais il y a encore du chemin à faire, dit Binh An Vu Van, présidente de l'Association des communicateurs scientifiques. Regardez la popularité des activités paranormales!»

L'historien des sciences Yves Gingras est plus dur: «Il n'y a pas d'étude récente sur le sujet, mais, de manière générale, le niveau reste assez faible, dans la population et dans le débat public. Et c'est pas mal plus important d'être au courant maintenant qu'il y a 40 ans, parce qu'il y a une foule d'enjeux - le gaz de schiste, les changements climatiques, les compteurs intelligents, le nucléaire - qui demandent une connaissance de base.»

Selon lui, le début d'un véritable esprit critique commence à l'école, qui n'est pas à la hauteur. C'est ce que croit aussi Mathieu-Robert Sauvé, journaliste scientifique et auteur, qui déplore l'avènement de la «culture Wikipédia» de la science. «Il y a de la bonne vulgarisation. Mais tous les musées et les revues ne remplaceront jamais l'éducation et, au fil des réformes, le nombre d'heures consacrées à l'enseignement des sciences a diminué. Ça, c'est inquiétant.»

Le vrai et le faux

Si Google donne accès à une foule d'informations, il n'est pas toujours évident de faire le tri. «Les gens nous arrivent parfois avec des idées préconçues parce qu'ils ont lu ça sur le web, dit Jacques Pépin, infectiologue à l'Université de Sherbrooke et spécialiste du sida. Beaucoup d'information pertinente est accessible en quelques secondes, mais la qualité varie d'excellente à médiocre.»

C'est donc ici que le travail des vulgarisateurs, qui ont une vue d'ensemble, devient important. «Il est difficile de départager le vrai du faux parce que, pour chaque étude, il y en a une autre qui dit le contraire», dit Binh An Vu Van. La journaliste croit que les scientifiques devraient aussi se mouiller davantage, malgré le risque d'être mal compris et interprétés. «La confiance dans les scientifiques est très élevée: 84% selon des sondages, précise Pierre Noreau. Comme président de l'ACFAS, j'ai beaucoup travaillé pour qu'ils interviennent davantage [dans le débat public].»

Et quel est le rôle des médias généralistes? «Ils nous gardent à jour, et c'est tout un défi parce que le risque d'erreur est plus grand, dit Raymond Lemieux. Mais pour mettre en contexte, il existe au Québec des spécialistes qui ont travaillé sur tous les sujets!»

Manque de nuances

La recherche scientifique est souvent beaucoup plus nuancée que ce qu'on peut lire dans une dépêche d'agence de presse. Raymond Lemieux rappelle cette nouvelle qui affirmait qu'on avait découvert une particule pouvant dépasser la vitesse de la lumière. «C'était invraisemblable, mais ça a fait le tour du monde. Et ce ne sont pas tous les articles qui ajoutaient le «peut-être» qui fait toute la différence.»

Binh An Vu Van constate que plusieurs sujets à controverse ont des réponses scientifiques claires, mais que ce sont souvent les nouvelles spectaculaires qui sont reprises dans les grands médias - celle qui sont d'ailleurs souvent infirmées par la suite. «Mais il est difficile de les rattraper et de faire des nuances parce que ça se propage vite. On le voit avec les OGM et le cancer, par exemple.»

Les exemples sont nombreux, font parfois rire, parfois moins. «La valorisation de la non-science est dangereuse», dit Raymond Lemieux. «La science permet de cultiver le scepticisme, croit pour sa part Yves Gingras. Et ces gens plus fragiles qui cherchent un gourou, qui croient à la transmission de la pensée, tomberaient peut-être moins dans le panneau.»