Adelheid Roosen a fait appel à une technique d'impression inusitée, pour la conception de l'affiche des Monologues voilés. Selon l'angle et la lumière, la silhouette féminine qui y figure est soit totalement voilée de noir, soit subtilement dénudée. Au regardeur de décider ce qu'il veut voir.

«Je veux vivre dans un pays où chaque individu prend la responsabilité de ce qu'il regarde», exprime l'exubérante créatrice des Monologues voilés à la voix rauque et au rire ensorcelé, qui prend l'affiche de la Cinquième Salle de la Place des Arts, du 6 au 15 décembre prochains.

Avant de composer ses 12 monologues cousins de ceux d'Eve Einsler (Les monologues du vagin), Adelheid Roosen s'est immiscée dans l'imaginaire intime de filles musulmanes algériennes, turques, égyptiennes, somaliennes, iraniennes et irakiennes.

Avec le concours de ces 74 femmes de 17 à 85 ans, elle a levé le voile sur le plaisir, la jouissance, la virginité, l'excision, l'homosexualité, le viol, le mariage arrangé... Ces confessions sont condensées dans des textes récités par quatre comédiennes qui livrent des témoignages sur le tiraillement entre volonté d'émancipation et attachement à la tradition.

«Très naïvement, je me suis d'abord rendue à l'hôtel de ville de La Haye, pour obtenir une liste des mosquées et d'hommes et de femmes qui parlaient arabe. Mais puisque de telles données n'étaient pas répertoriées, j'ai enfourché mon vélo et me suis rendue dans des lavoirs turcs. C'est là que j'ai fait mes premières interviews», raconte la dame «au physique hollywoodien et au langage de chien», selon le magazine Elle Belgique.

La femme fatale du théâtre néerlandais, qui a été l'une des interprètes de la version néerlandaise des Monologues du vagin, relate avec enthousiasme les «détails savoureux» issus de ces entretiens sans censure.

«J'ai compris la sensualité, la vulnérabilité, la transparence de la femme arabe. Elles m'ont amenée au hamman, m'ont brossée, m'ont lavée, comme si j'étais leur fille. Auprès d'elles, j'ai été initiée aux rituels féminins. J'en suis arrivée à la conclusion que mon éducation de Hollandaise catholique a été beaucoup plus marquée par la honte.»

En levant ainsi le voile sur l'intimité musulmane, Adelheid Roosen est arrivée à la conclusion que l'attitude très libérale de son pays à l'endroit de la sexualité cachait une forme d'embargo sur la sensualité.

«En Hollande, on peut parler de tout au bulletin de nouvelles de 20h. Par contre, les gens sont très pudiques quand il s'agit d'entrer dans les détails sur leur vulnérabilité, leurs désirs...»

Quand les filles d'Allah parlent de sexe

Depuis leur création en 2003, Les monologues voilés ont été présentés au Parlement néerlandais, au Caire, à Berlin, Ankara, Istanbul, New York, Boston, ont tenu l'affiche trois mois à Bruxelles, un mois à Avignon...

«Après la représentation à Ankara, j'ai couru pour rattraper une jeune femme qui s'était enfuie en vitesse. Elle m'a dit que si son mari apprenait qu'elle avait vu cette pièce, elle était dans le pétrin.»

Au bout du fil, de son côté de l'Atlantique, Adelheid Roosen rappelle le contexte des Pays-Bas face à ses vagues d'immigration. Les années 1960 ont marqué l'arrivée des premiers migrants, d'Indonésie, de la province du Friesland, de la Chine, de la Turquie et du Maroc. Pour renverser certains préjugés à l'endroit des communautés d'immigrants musulmans, il lui importait d'abord de rappeler que ces travailleurs de la classe ouvrière avaient été invités par le gouvernement néerlandais.

Elle a eu l'idée des Monologues voilés après avoir monté une pièce sur l'intimité des Marocaines (Cinq sur vos yeux). «J'ai écrit cette pièce avec quatre jeunes Marocaines, qui étaient des filles des premiers migrants venus s'établir en Hollande. Elles m'ont sensibilisée aux dualités culturelles qui les habitaient.»

Et le voile, lui, comment est-il raconté dans ces monologues qui lui sont consacrés?

«J'ai écrit un monologue sur le sujet, c'est tout. C'est qu'en Hollande, on n'a pas ce débat. Le port du voile intégral est interdit dans les endroits publics, mais cela ne touche que 200 à 300 femmes. Plusieurs de celles qui portent le niqab, d'ailleurs, sont des femmes hollandaises qui ont épousé un musulman.»

Filles d'Allah ou d'Ève, voilées ou pas, on a tout à apprendre à dialoguer.

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Les monologues voilés, d'Adelheid Roosen, du 6 au 15 décembre à la Cinquième Salle de la Place des Arts.