Le 25 novembre, la Sainte-Catherine n'est plus soulignée et aucune femme n'est taxée de «vieille fille». N'empêche, après des décennies de féminisme, la femme célibataire demeure fortement stigmatisée et l'objet de mille ragots et questions indiscrètes.

«Et alors, quand est-ce que vous faites un petit bébé?»

Cette question, Sophie, professionnelle de haut vol, l'entend à répétition de collègues - des femmes, pour beaucoup - avec lesquels elle n'a souvent ni affinité ni intimité. «Les gens manquent de tact, déplore-t-elle. Après 30 ans, c'est le genre de questions qu'on ne devrait pas poser à une femme. Parce qu'à cet âge, si on n'a pas d'enfant, ce n'est pas nécessairement parce qu'on n'en veut pas. Et si on en veut, c'est déjà assez lourd comme cela, ce n'est pas utile d'en rajouter.»

De façon générale, quand une femme est célibataire, «elle est analysée sous toutes ses coutures, poursuit Sophie. On l'imaginera trop à l'argent, trop carriériste, trop superficielle ou alors lesbienne».

Alors qu'un mariage sur deux finit par un divorce, «ça ne devrait pourtant pas être si difficile à comprendre», dit encore Sophie. «Trouver la bonne personne, moi, je ne trouve pas cela évident!»

«Pour tout dire, si j'étais divorcée et que mes enfants étaient coincés dans une dispute de garde entre mon ex et moi, ce serait moins mal vu. En tant que célibataire, peu importe notre carrière ou notre implication sociale, on nous regarde comme si on ne faisait rien de notre peau... tout en comptant très fort sur nous pour qu'on accepte les pires horaires de travail ou qu'on siège à tous les comités possibles!»

Caroline, âgée de 27 ans, est pour sa part un peu lasse des commentaires du type: «Là, il faut qu'on te trouve un chum». Ou alors: «Ce soir, habille-toi sexy, j'ai quelqu'un à te présenter.»

«C'est comme si j'étais toujours tenue de me justifier, alors que ce n'est pourtant des affaires de personne.»

Contrairement à la reporter Kate Bolick qui a fait l'an dernier l'apologie du célibat dans The Atlantic Monthly, Caroline ne nie pas qu'il serait bien, «quand il fait froid dehors», d'avoir un homme à ses côtés éventuellement.

«Je vois trop de couples autour de moi qui passent leur temps à s'engueuler ou à parler dans le dos l'un de l'autre. Est-ce que j'ai le droit, moi, de rêver à l'amour avec un grand A? Franchement, quand des gens qui sont en couple depuis super longtemps me font des remarques désobligeantes, j'en arrive à me demander s'ils ne m'envient pas un peu.»

Autour d'elle, Caroline voit des gens se mettre en couple vite, vite, vite. «Après un mois de fréquentation, j'ai un ami qui s'est fait presser par sa blonde de lui dire là, tout de suite, si eux deux, c'était pour de bon. Parce qu'à 32 ans, la fille n'avait aucune envie de passer trois ans avec un gars, puis de rompre, et de se réveiller toujours sans enfant à 35 ans.»

Une certaine exclusion sociale

Après de nombreuses années de célibat, Julie, d'origine européenne, a pour sa part trouvé l'amour, le bon, lorsque sa cinquantaine était bien entamée. Plus que les commentaires désobligeants, ce qui lui pesait, c'était surtout l'exclusion sociale. «En Europe, si on est célibataire, on est invité chez les gens au même titre que n'importe qui. Ici, les gens font des sorties de couple, des soupers de couple, des fins de semaine de couple et si on ne l'est pas, en couple, souvent, on n'est pas invité. Tout se passe comme si une invitée qui arrive seule brisait un équilibre quelconque...»

Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme, constate qu'on n'est pas venu à bout de tous les stéréotypes. «La beauté du mouvement de libération des femmes, c'est qu'il nous a permis de faire des choix. On peut aujourd'hui décider de rester célibataire, de se marier, de vivre en union libre, d'avoir des enfants ou pas... Mais malgré une grande évolution des moeurs, il semble que l'on continue de juger celles qui ne se conforment pas au modèle classique de la femme en couple avec enfants.»

Physiquement, elle n'est pourtant pas moche, entendra-t-on chuchoter... «Eh oui! On a encore cette vieille idée qu'une femme ne peut pas s'accomplir sans l'autre, comme si elle était dans une vitrine en attendant le jour d'être enfin choisie!

«Il semble vraiment y avoir un décalage entre l'individualisme assez fort de notre société qui valorise beaucoup l'indépendance et le regard qu'on pose pourtant sur ces femmes célibataires qui vivent différemment, par choix ou non.»

Mais est-ce tant le célibat qui fait sourciller ou le fait de ne pas avoir d'enfants qui attire tous les commentaires? Ariane, qui est en couple, pose la question. «Moi aussi, je me fais demander chaque semaine - oui, oui, chaque semaine! - si je vais bientôt lâcher mon contraceptif et avoir des enfants. Pourrais-je m'envoyer en l'air en paix, S.V.P.?»