Démonisé par les uns, caricaturé par les autres, le vaudou a longtemps vécu dans l'ombre, à l'abri de la discrimination. Depuis quelques années, toutefois, cette forme unique de spiritualité haïtienne commence à «sortir du placard»: elle a même été reconnue en 2003 comme religion à part entière par l'ancien président Aristide. Consécration d'un autre ordre: le Musée canadien des civilisations de Gatineau lui consacre jusqu'en février 2014 une exposition à caractère ethnologique qui dissipera les derniers préjugés. Ou peut-être pas... Entretien avec Mauro Peressini, conservateur responsable du sud-ouest de l'Europe et de l'Amérique latine, et responsable de Vodou.

La Presse - Votre expo regroupe près de 350 objets rares reliés à la pratique du culte vaudou. Comment les avez-vous trouvés?

Mauro Peressini - La très grande majorité provient de la collection de Marianne Lehmann, une femme d'origine suisse qui vit en Haïti et collectionne des objets liés au vaudou depuis le milieu des années 80. Elle a, depuis, accumulé de 2000 à 3000 objets, ce qui en fait peut-être la plus importante collection d'objets vaudou dans le monde. Ils sont malheureusement très mal conservés. C'est pourquoi, en Haïti, la Fondation pour la préservation, la valorisation et la production d'oeuvres culturelles haïtiennes souhaite créer un centre dans lequel ces objets seraient conservés dans de bonnes conditions.

Q - L'expo a fait une tournée européenne avant d'arriver chez nous. Quelle différence avec ce que vous présentez à Gatineau?

R - La version européenne était surtout une réflexion sur la façon dont les Blancs voient le vaudou. Sachant que nous avons ici - surtout à Montréal - une communauté haïtienne et vaudouisante importante, on a voulu donner une voix aux gens qui le pratiquent. Nous avons filmé deux cérémonies et réalisé des entretiens filmés avec des vaudouisants qui nous expliquent ce que ça représente pour eux. Cette expo leur permet de donner leur point de vue sur la place publique. Dans ce sens-là, le musée joue un peu un rôle de forum.

Q - Vous avez eu de la difficulté à entrer dans les cercles vaudous?

R - Au contraire. Les gens étaient très contents. On sent qu'il y a de l'ouverture. Une envie d'aller au-delà des stéréotypes. En Haïti, il y a un mouvement où on essaie de structurer le vaudou pour le rendre plus fort. À Montréal, les cérémonies sont de moins en moins cachées. On a commencé à en faire dans des lieux publics, comme dans les sous-sols d'église.

Q - Combien de gens pratiquent le vaudou au Québec? Une idée?

R - Ils sont plus nombreux qu'on pense. Je crois que beaucoup le pratiquent en cachette, même ceux qui se disent catholiques. Évidemment, certaines choses restent difficiles à faire, pour des raisons de climat ou des raisons légales. Les initiations dans le bois ou le sacrifice d'animaux, c'est moins évident. Mais ils s'adaptent. Ils ne veulent pas tomber dans la revendication d'accommodements. Ils ne veulent pas aller au-delà de ce que la société québécoise est prête à accepter. Ce qui les irrite, par contre, ce sont les préjugés négatifs.

Q - Le Musée canadien des civilisations a récemment annoncé qu'il voulait se recentrer sur l'histoire canadienne. Vodou ne semble pas trop aller dans cette direction...

R - Se recentrer sur l'histoire canadienne ne signifie pas qu'on ne doit pas parler de sujets internationaux et de culture étrangère. De plus, nous avons ici une communauté haïtienne importante. Et tous les Haïtiens sont d'accord pour dire que le vaudou fait partie de leur culture. Pour nous, ce n'est pas seulement pertinent, c'est un des blockbusters de l'année.

La chair de poule...

La Presse a visité l'expo avec Nirva Cherasard, prêtresse vaudou

«C'est bon, cette expo, ça va faire tomber les stéréotypes.»

Haïtienne d'origine, Nirva Cherasard découvre avec nous la nouvelle expo Vodou du Musée canadien des civilisations - à laquelle elle a d'ailleurs collaboré. Curieuse, elle va d'un objet à l'autre en prenant des photos avec son téléphone intelligent. Même si cette «mambô» (prêtresse vaudou) pratique le culte depuis plusieurs années, de nombreux objets exposés lui sont inconnus. «C'est inédit comme collection, dit-elle. Ce sont des pièces presque uniques. Je n'en ai jamais vu de si grosses.»

Impressionnante en effet, cette collection Lehmann. On a beau dire que le vaudou, y'a rien là, mais certains de ces objets donnent quand même la chair de poule. Ce sont, pour l'essentiel, des statues représentant des «Lwa», les esprits du vaudou. Il y en a de toutes sortes. Certains ont l'air plutôt gentils, mais d'autres semblent sortis tout droit d'un film d'épouvante, avec leurs masques cousus dignes d'Hannibal Lecter ou leurs têtes de mort raboutées à d'immenses cruches rouges. «Pas méchants, murmure Nirva. Ce sont des esprits du rite bizango. Des serviteurs. Ils font ce que tu leur demandes.» Nous voilà rassurés...

Un peu plus loin, la mambô sourit en se voyant interviewée sur vidéo. «C'est exactement ce que je voulais dire», lance-t-elle. Puis on s'assoit pour regarder un petit film d'archives tourné à Sodo, lieu de pèlerinage du vaudou haïtien. Visiblement, la scène lui «parle»: un éclair de convulsion la traverse. «Ça me fait quelque chose de voir ça», dit-elle, l'air de rien, avant de se lever pour prendre d'autres photos.

Théorique

Il est clair que le Musée canadien des civilisations a fait un bon coup avec cette expo Vodou. La collection Lehmann n'est pas seulement spectaculaire, mais instructive. Reste que le vaudou, religion vivante et organique par définition, n'est pas du genre à s'enfermer dans un musée. Loin de la «vraie vie», Vodou s'avère donc forcément théorique, voire désincarnée, en dépit des quelques extraits vidéo qui ponctuent l'expo. Un peu froid, malgré les esprits du feu...

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Vodou. Du 15 novembre 2012 au 23 février 2014 au Musée canadien des civilisations de Gatineau.

Photo: fournie par le Musée des civilisations

Bosou Twa Kòn ak pip (Bossou Trois Cornes avec pipe)