Après avoir fait rêver au grand écran, dénoncé la guerre au Viêtnam, remporté des Oscars, initié des générations de femmes au workout et publié son autobiographie, Jane Fonda, 74 ans, propose Prime Time, un guide pratique à l'intention de ceux qui abordent l'«acte trois» de leur vie, en version française dès demain. Entrevue avec une femme véritablement hors du commun... depuis 50 ans!

Q Pourquoi teniez-vous à écrire un tel guide portant sur la vie après 70 ans?

R Ce n'est pas pour dire que les 70 ans sont les nouveaux 50 ans, mais plutôt que les 70 ans sont les nouveaux... 70 ans. Une des plus grandes révolutions, c'est qu'en un siècle, l'espérance de vie moyenne [en Occident] est passée de 35 ans à 90 ans! Il faut donc se préparer à vivre quelque 40 ans de plus que nos ancêtres. Ça pourrait même être un des meilleurs moments de votre vie. Être vraiment dans la fleur de l'âge, c'est aussi ce que veut dire «prime time».

Q Mais pourquoi écrire à l'intention quasi exclusive des 70 ans?

R Quand j'ai quitté la soixantaine, j'ai réalisé que j'étais très heureuse! Ç'a été un énorme choc pour moi, surtout que je viens d'une longue lignée de dépressifs. Je me posais des questions: «Mon Dieu, je me sens mieux qu'avant, pourquoi? Suis-je la seule à ressentir cela?» [rires]. J'ai écrit ce livre d'abord parce que je voulais en savoir plus sur moi-même. Et j'ai appris que je n'étais pas la seule: bien des gens âgés ont tendance à ressentir un plus grand sentiment de bien-être que lorsqu'ils étaient plus jeunes. On ne sait pas exactement pourquoi, il y a plusieurs raisons...

Q Vous présentez plusieurs concepts, notamment celui de la générativité.

R C'est un mot magnifique, inventé par le chercheur Erik Erikson pour réunir les notions de générosité, de génération et de créativité. Et qui veut dire, essentiellement, qu'en s'ouvrant aux plus jeunes, en devenant un mentor, en transmettant son savoir, on vit vieux et beaucoup mieux. Selon les recherches du Dr Georges Vaillant, on triple ses possibilités de vivre dans la joie, et non dans le désespoir, si on pratique la générativité en vieillissant. [La comédienne] Katherine Hepburn a été pour moi un exemple fabuleux de cela. Elle a pris sous son aile des gens plus jeunes qu'elle, dont moi, et nous a conseillés, aidés, écoutés...

En plus, comme je l'explique dans le livre, des recherches démontrent que les femmes qui pratiquent la générativité ont plus d'orgasmes! N'est-ce pas extraordinaire? [rires]

Q C'est pour cela que vous avez accepté de jouer dans le film français Et si on vivait tous ensemble?, dans lequel vous incarnez une septuagénaire qui parle de sexualité sans détour?

R C'est un film tellement charmant. J'étais en pleine écriture de Prime Time quand j'ai reçu le script et j'ai hésité... jusqu'à ce que je me dise que je devais vraiment faire ce film, puisqu'il porte sur le même sujet que le livre: s'ouvrir à la nouveauté et se soutenir quand on est vieux. Et puis, jouer en français, j'aime toujours cela. [Note: le film est toujours à l'affiche et a remporté le Prix du public au récent Festival du cinéma de Québec.]

Q Vous citez une abondance de sources dans ce livre. Était-ce pour vous ou pour nous rassurer?

R J'adore faire des recherches, je suis une institutrice dans l'âme. J'ai raffolé d'aller partout dans le monde pour trouver mes sources, rencontrer des gens passionnants, apprendre. C'est une des choses qui gardent jeune: apprendre, ouvrir son champ de vision. Pas besoin d'aller loin pour ça. Souvent, on représente la vie comme une arche, qui monte et descend. Mais on peut aussi la montrer comme un escalier. Bien sûr, nos forces physiques déclinent, mais notre esprit, lui, s'élève, notre sensibilité et notre sagesse montent. Je souffre d'arthrose, par exemple, mais en même temps, je me sens plus légère qu'avant, plus dégagée, plus tournée vers le spirituel.

Q Votre livre est à la fois très pratico-pratique et très personnel, puisque vous y racontez votre propre vieillesse, vos expériences. L'écriture n'est donc pas toujours la même.

R C'est vrai, ce sont deux musiques: l'une est plus martiale, c'est mon côté pédagogique; l'autre est plus lyrique, c'est mon côté plus contemplatif. Je crois que j'ai réussi à concilier les deux dans ce livre.

Q Vous présentez la vie comme une série d'actes: l'acte un, de 0 à 30 ans; l'acte deux, de 40 à 60 ans; l'acte trois, après 70 ans. Connaîtrez-vous un acte quatre?

R Non, je n'en ai pas l'impression. Si les gens s'identifient à moi, c'est parce que je n'ai jamais caché qu'on m'avait remplacé une hanche, puis un genou. Un moment donné, c'est la fin. Il n'y aura pas d'acte quatre. Mais j'aurai peut-être bien le temps d'écrire un épilogue...

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Prime Time... en French

En anglais, Prime Time est sorti en 2011, puis en format poche en 2012. Ce n'est donc pas par manque de temps s'il a plus ou moins bien été traduit en français. Tout ce qui est purement pratique - les chapitres sur la gymnastique, la dysfonction érectile, l'alimentation, les vitamines, les techniques de méditation, etc. - a droit à une traduction honnête.

Mais lorsque Jane Fonda livre des chapitres plus personnels, les choses se gâtent un peu. Comment l'expression «getting a grip» est-elle devenue «obtenir un voyage»? Le traducteur a simplement confondu «grip» et «trip» - Fonda, elle, parlait d'«avoir prise sur les événements»! Dans le chapitre consacré à la générativité, la notion de «self-conscious», telle que transmise par Katherine Hepburns à Fonda, en prend pour son rhume quand on compare les deux versions.

Bref, révision bâclée ou inexistante. N'empêche, le guide de Jane Fonda, offert en français à 29,95$, demeure unique en son genre: une somme énorme, étonnante et très utile de renseignements à l'intention des gens qui veulent vivre vieux et mieux.

Prime Time

Jane Fonda

Plon, 426 pages.

En magasin le 25 octobre