Ne jamais sous-estimer les zombies. C'est la leçon retenue par Jarrett Mann, président du Festival SPASM, derrière l'organisation de la deuxième Marche des zombies de Montréal, tant la première avait dépassé les attentes. «Nous avions été un peu dépassés par l'événement», avoue-t-il, sans s'en plaindre, bien sûr. Plutôt que de bloquer le centre-ville, on a choisi cette fois de partir du Quartier des spectacles pour aller jusqu'à la place Jacques-Cartier.

Ils étaient donc quelques milliers samedi à prendre d'assaut les rues de Montréal, au grand bonheur des badauds et des touristes du Vieux-Montréal par où le cortège «funèbre» passait. Des zombies de toutes les couleurs (bleus, verts, gris, jaunes, etc.), de toutes les professions, des deux sexes et de tous les âges. Beaucoup de parents et d'enfants zombies - les petits, loin d'être terrorisés, adorent ce jeu du déguisement et l'impression de faire peur, ainsi que la permission de crier en pleine rue. Jouer au zombie, c'est renouer avec le cerveau reptilien en soi, exercer le cri primal en public, et se donner le droit non pas d'être laid, mais carrément affreux. Et certains ont mis un temps fou à se maquiller, comme quoi il faut aussi savoir souffrir pour être horrible...

Phénomène particulier de notre temps, il y avait samedi autant de photographes amateurs que de zombies, comme si la photographie numérique depuis l'apparition des téléphones intelligents était devenue une sorte de zombification du réel - mais ça, c'est un autre débat.

À part quelques automobilistes excédés de voir la rue bloquée par cette horde grotesque marchant trop lentement à leur goût (chez les zombies, la force du nombre est plus importante que la vitesse), la réaction unanime face à ce défilé macabre est l'hilarité. Tout au long du parcours des zombies, que des sourires, des rires, des cris de joie (et des photos). Pourquoi cette jubilation? Selon le sociologue Maxime Coulombe, qui vient de publier l'essai Petite philosophie du zombie aux éditions PUF, il s'agit d'une réappropriation carnavalesque de nos peurs les plus profondes. «C'est la rencontre de plusieurs phénomènes, explique-t-il. Le côté enfantin, avec le maquillage, comme une Halloween pour adultes, la capacité de reprendre la rue, en s'amusant, en riant, en jouant avec la mort. Clairement, cela répond à quelque chose. Nous sommes dans la société la plus hygiénique de l'histoire, obsédée par les microbes, les virus et les épidémies, nous cachons les vieux et les morts, alors c'est une façon de se réapproprier le dialogue avec la mort, comme dans toutes les civilisations qui avaient ce type de moments ritualisés. Rire de la mort, c'est une vieille tradition qui date du Moyen Âge.»

Ce qui le fascine est justement le côté «increvable» de la créature dans la culture. Tous ces films, ces jeux vidéos, la série télé Walking Dead, sont là pour prouver que le zombie continue de nous parler, comme s'il était une métaphore sans cesse renouvelable. En toile de fond, cette éternelle peur de l'apocalypse, de la destruction de la civilisation, du retour à un monde sauvage. Les interprétations sont nombreuses. Pour Jarrett Mann, même si la marche est apolitique, on peut quand même y lire plusieurs messages. «Cela demeure un regard sur notre société, croit-il. Une façon de dire que nous sommes tous devenus des zombies, que la culture de masse nous mène, comme une sorte d'auto-critique qui nous montre ce qu'à l'extrême, nous pourrions devenir.»

Montréal rattrape ainsi plusieurs villes dans le monde où l'on organise ces populaires «Zombies Walks». «Cela fait 10 ans que Toronto en fait une, dit Jarrett Mann, et ce qu'on aimerait, c'est que ce soit à Montréal que la plus grosse marche ait lieu!»