Ce sont toujours des thèmes les plus éculés que naissent les plus beaux textes: l'amour, la mort ou... le pays! Son coin de pays, sa région natale ou son lieu fétiche, c'était justement le thème du grand concours de La Presse/Gesca/Cyberpresse Devenez le parolier de Vincent Vallières. De ce concours, sont nés un texte, puis une musique, une chanson, des arrangements, un enregistrement en studio, une performance sur scène et même une amitié...

«Je me suis mis dans la peau de Vincent Vallières qui arriverait sur la Côte-Nord pendant la nuit», dit simplement François-David Prud'homme pour expliquer comment il a réussi à écrire un texte qui colle autant au chanteur tout en répondant parfaitement au thème imposé de notre concours, qu'il a remporté avec sa chanson Désert habité. «Et moi, je voyais parfaitement le paysage en lisant son texte, en sachant en même temps que jamais je n'aurais pu l'écrire, dit Vincent Vallières. Il fallait vraiment quelqu'un qui a vécu un bon bout de temps là-bas pour écrire comme ça. C'est un texte qui part de l'intérieur pour aller vers l'extérieur.»

C'est assez fascinant de voir les deux jeunes hommes côte à côte: Vallières, qui aura 32 ans en août, et Prud'homme, qui en aura 31 en juillet, se ressemblent par la simplicité, la taille, l'humour. Mais surtout, ils dégagent tous deux la même assurance tranquille, comme dans «révolution tranquille»... ou même Repère tranquille, une des plus belles chansons de Vallières.

Le plus étrange, c'est que, en outre, François-David est à l'image du Québec d'aujourd'hui. Urbain (il vit dans Hochelaga, à Montréal) mais né en région, sur la Côte-Nord, à Sept-Îles, il a étudié en création littéraire et en scénographie. Il étudie actuellement en histoire («c'est par ça que j'aurais dû commencer», estime-t-il), mais il a aussi été guide dans les pourvoiries de son coin.

Jeune poète assumé et animé par la conviction que l'écriture est sa voie et sa voix, il fait des chansons depuis l'âge de!7 ans, mais également de la photo. Bref, les arbres et les gratte-ciel le nourrissent, tout comme les mots et les images. «Dès le début du concours, j'ai eu l'intention de participer, explique-t-il, et j'ai commencé par écrire une chanson sur Montréal. Mais ça ne marchait pas bien, et le temps passait. Alors, pour m'inspirer et me changer les idées, j'ai décidé d'écrire un tout autre texte. Un texte sur ma patrie, la Côte-Nord. Je l'ai pondu en 30 minutes, d'un coup, et je l'ai envoyé à Cyberpresse la veille de la fin du concours!»

De l'art des contraintes

Disons-le simplement: il nous aura fallu des heures et des heures pour passer à travers les 736 textes reçus (merci à tous!), les classer, les lire, éliminer, garder, mettre de côté, puis choisir, hésiter encore...

Un qui n'a pas hésité une seconde, par contre, c'est Vincent Vallières lorsqu'on lui a demandé d'être au coeur d'un tel concours. «J'ai tout de suite trouvé l'idée bonne, dit-il, notamment parce que c'est bon parfois d'avoir des contraintes pour travailler. Moi, c'est ce que je fais dans la vie, écrire des chansons, et j'aspire donc à rencontrer d'autres personnes qui en écrivent, mais qui ne sont pas nécessairement issues de mon cercle.»

«Je me disais qu'il devait bien y avoir un pendant artistique parmi les lecteurs de La Presse, quand je regarde la qualité des lettres ouvertes qui y sont publiées. Et puis, ajoute-t-il en riant, je me suis dit que, au pire, ça ferait juste une mauvaise chanson de plus dans le monde et que ça ne serait pas ma première ni ma dernière!»

Non, Vallières n'a pas lu tous les textes reçus (il a d'ailleurs fallu s'y mettre à plus de quinze pour lui en présélectionner six). Des textes venus d'absolument toutes les régions, écrits par des gens de tout âge, toute origine et toute condition. «Quand j'ai su qu'il y avait eu autant de textes soumis, ça m'a vraiment beaucoup touché qu'autant de gens se mouillent et prennent la peine d'essayer. Ce n'est pas évident, écrire une chanson, et puis il n'y avait pas une bourse de 50 000 $ à gagner! Ça m'a confirmé que beaucoup de gens au Québec s'intéressent à la chanson d'expression francophone, à notre langue, à notre culture, et ont envie d'y contribuer.»

Le dilemme

Au final, dix textes ont été retenus, et les six meilleurs ont été envoyés à Vincent. «Honnêtement, je les trouvais tous bons! Je ne savais plus lequel choisir, j'ai beaucoup branlé dans le manche, plus que je ne l'imaginais. Je me suis donc lancé et je me suis mis à faire des musiques pour plusieurs textes. Il en est finalement resté deux, trois. Alors, j'ai fait exactement ce que je fais quand j'écris une chanson au complet: j'ai appelé des amis qui ont un bon bagage comme auteurs-compositeurs, Martin Léon et Éric Goulet, et je leur ai lu les textes au téléphone.»

Tant Martin Léon qu'Éric Goulet ont trouvé les textes beaux (et trouvé Vallières bien chanceux d'avoir une telle pépinière d'auteurs!) mais c'est celui de François-David Prud'homme qui l'a emporté.

«Instinctivement, c'est le texte qui me plaisait le plus, reprend Vallières, mais je l'avais repoussé parce que je trouvais que ma mélodie ne représentait pas bien la qualité du texte. Je l'ai tassé, repris, re-tassé...»

Finalement, le texte s'est imposé, la musique est arrivée et la chanson est née. «Je ne sais pas si ce sera une chanson populaire, dit Vallières, mais c'est une vraie chanson.» Au point que le chanteur l'a intégrée samedi passé au spectacle qu'il a donné au Métropolis, dans le cadre des FrancoFolies de Montréal, devant un public qui a beaucoup apprécié!

«Je ne connaissais pas beaucoup le répertoire de Vincent avant le concours, précise de son côté François-David Prud'homme. C'est par le disque 12 hommes rapaillés (NDLR: 12 poèmes de Gaston Miron mis en musique par Gilles Bélanger) que je m'y suis intéressé. Sa version de Au sortir du labyrinthe, qui est un de mes poèmes favoris de Miron - Miron est mon poète québécois préféré! -, m'a complètement séduit. Alors, j'ai écouté toutes les chansons de Vincent, j'ai lu tous ses textes et j'ai essayé d'écrire en utilisant son champ lexical, les mots qu'il aime. D'ailleurs, s'il y a le mot «muse», au sens d'inspiration, dans mon texte, c'est parce que Vincent utilise souvent le mot «muse» (prononcez «miouse») dans ses chansons quand il parle de musique.»

C'est le cas notamment dans les morceaux Baby Blues et Café Lézard...

Un vol musical

Une fois la musique composée, Vallières a ébauché des arrangements avec l'aide de son guitariste André Papanicolaou dans leur studio de répétition, rue Amherst, à Montréal. «Je voulais que la chanson gagne peu à peu en intensité, qu'elle aille en ouvrant, en partant du plus petit au plus grand, que ce soit relativement aérien, comme une espèce de vol musical, mais à basse altitude, explique Vallières. Ensuite, on a retravaillé les arrangements avec les musiciens en studio d'enregistrement (dans les Cantons-de-l'Est) et c'est devenu un vol, mais des deux bords, si je puis dire: ce qui se passe vu d'en haut - la côte, l'océan, la forêt - et aussi ce qui se passe vu d'en bas - la nuit, les étoiles.»

«Ce que je trouve extraordinaire, dit François-David Prud'homme après les premières écoutes dans un studio de mixage du Plateau-Mont-Royal, c'est que je m'étais inspiré de la Côte-Nord l'hiver, avec le vent, la taïga, l'eau, la lune qui ne réchauffe jamais rien mais qui au moins embellit le fleuve. Et pourtant, Vincent en a fait une chanson presque estivale, chaude, très énergique, sans pour autant la trahir.»

«En tout cas, conclut Vincent avec un beau grand sourire, j'ai écrit bien des tounes de route depuis une couple d'années, mais celle-là, c'est ma première toune de route d'avion! C'est une chanson en vol plané.»

C'est surtout une très belle chanson, à l'image de la Côte-Nord, mais aussi de notre pays, désert habité depuis la nuit des temps.