Après 30 années de remarquable assiduité au Salon du livre, où il s'est entretenu, devant public, avec une imposante variété d'auteurs, leur soutirant propos et confidences, l'écrivain Gilles Archambault tire maintenant sa révérence. Et ce n'est certainement ni par lassitude ni par conflit d'horaire.

« Je mets les voiles tout simplement parce que j'ai la certitude qu'à 84 ans, il est temps de le faire », dit-il, ajoutant à la blague qu'on pourrait estimer qu'il a mis trop de temps à s'y résoudre. « Si j'ai persisté, c'est au fond parce que j'aime la compagnie des écrivains. Je les aime un à un, devant un micro » - sa longue expérience de la radio depuis l'aube des années 60 expliquant cette habitude et ce double don de l'intimité et de la communication.

Les mélomanes férus de jazz connaissent bien Gilles Archambault pour son émission joliment titrée Jazz Soliloque, longtemps diffusée sur les ondes de Radio-Canada et de laquelle ont été tirés deux coffrets de trois CD, généreuse compilation (Ma dernière nuit jazz).

Si le livre, l'objet livre, n'est apparemment pas (encore) en voie d'extinction, malgré la révolution numérique, Gilles Archambault, aussi collectionneur, déplore l'obsolescence du disque compact.

« Je ne peux que souhaiter que le livre ne périsse pas. Bien convaincu toutefois que je n'en sais rien. Je tiendrais à dire cependant que l'agonie du CD m'attriste. »

Auteur prolifique (26 romans et 6 recueils de nouvelles, entre autres publications), mais auteur discret, d'une humilité presque intimidante, et qui se décrit lui-même comme « un écrivain pour happy few », Gilles Archambault ne considérait pas ses engagements au Salon du livre comme ceux d'un « animateur », se voyant plutôt tel « un lecteur cherchant à faire dire à l'auteur d'un livre une phrase ou deux qui aideraient à la compréhension de son travail ». C'est déjà beaucoup, mine de rien.

Parmi ses rencontres les plus marquantes de ces années à faire parler des auteurs, Gilles Archambault cite, spontanément et de mémoire, Jean-Paul Dubois, Olivier Rolin, Philippe Claudel, Robert Lalonde, Élise Turcotte, Jean-Marie Poupart. « Le bon souvenir peut dépendre de la fascination qu'exerçait sur moi l'écrivain ou, plus bêtement, de l'impression, fausse ou non, d'avoir bien fait mon travail. »

Et c'est encore mine de rien, ou de si peu, mais sans fausse modestie, qu'il envisage son statut d'écrivain. « Toute idée de célébrité m'est inconnue et me paraît même détestable. Je n'ai jamais eu à me défendre contre cette tentation. J'ai en horreur la télévision-spectacle. Je fuis les lancements, les rassemblements », confie le routier qui, quand même, est suivi de près par une clique de fans des plus fidèles et qui a remporté le prix Athanase-David pour l'ensemble de son oeuvre, en 1981 déjà.

S'il en a vu passer, des écrivains, et du même coup des modes et des tendances, il ne considère pas nécessairement d'un très bon oeil ce qu'on appellerait le jet-set littéraire, avec ce que cela suppose de bluff et de prétention.

« L'attitude "vedette" m'a agacé au début. Petit à petit, j'en suis arrivé à trouver tellement ridicules ceux qui se croyaient arrivés que je les ai pris en pitié. »

« Si l'auteur qui pérore devant moi a écrit un livre valable à mon sens, je tente par tous les moyens de l'orienter vers ce qui fait à mon avis la valeur du livre. Continue-t-il à faire la roue ? Tant pis », poursuit-il.

« Il m'est aussi arrivé de m'attacher à un romancier plus que moyen à partir de la franchise et de la sensibilité que je découvrais dans ses réponses à mes questions, ajoute-t-il. Il y a pire faute que celle d'avoir un petit talent. » En voilà un qui n'ira pas faire le beau à l'une ou l'autre de ces émissions dont tout le monde parle.

À une autre époque où le seul mot « Salon » évoquait les mondanités, la courtisanerie et le bel esprit, Archambault aurait peut-être fait figure de marginal ou d'impromptu, mêlé à la bonne société un peu contre son gré.

Cet écrivain intime, reclus médiatiquement par choix et aussi par hasard, plus mélancolique que cynique, fait passer les indignés de ce monde pour des mal élevés qui s'énervent d'abord, à propos de ci ou de ça, avant d'y avoir réfléchi un peu et médité beaucoup.

« Je ne suis surtout pas confiant en l'avenir. Il m'arrive fréquemment de désespérer devant la bêtise, la médiocrité satisfaite. Cioran, je le fréquente. Son pessimisme me convient. Les optimistes à tous crins m'horripilent. Je ressens encore toutefois, à l'approche de la mort, la fascination devant la beauté, celle des femmes, des enfants, de l'art. Depuis quelques années, je dis que je voudrais avoir trois vies. Il n'y a pas de limites quand on est un nostalgique impénitent. »

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Gilles Archambault tient ses dernières rencontres au Salon du livre de Montréal le dimanche 19 novembre.