Dis-moi qui tu hantes et je te dirai qui tu es... Voilà un vieux proverbe dont on s'est longtemps servi, dans les collèges d'antan, pour dénoncer les mauvaises fréquentations. Toutefois, il s'applique tout autant aux bonnes, même quand on parle de livres et de littérature.

Les politiciens parlent peu de leurs lectures autres que celle du rapport du Vérificateur général ou de l'étude sur le recul de la forêt boréale. Ainsi, dans ce qui, sauf erreur, constituait une heureuse première, le Salon du livre a invité des représentants des quatre principaux partis à venir parler des livres qui les ont marqués, chamboulés, instruits, définis.

Hier, les visiteurs du Salon, où il y avait grande affluence, ont appris à connaître davantage ces personnalités de la scène politique québécoise, assises côte à côte, sans leurs couleurs partisanes: Hélène David, députée d'Outremont (PLQ) et ministre de la Culture; Françoise David, soeur de gauche de la première, députée de Gouin (Québec solidaire); Maka Kotto, député de Bourget (PQ) et ancien ministre de la Culture; Jean-François Roberge, député de Chambly (CAQ). Voici leurs listes qui nous disent (un peu) ce qu'ils sont.

HÉLÈNE DAVID

Petite-fille, au même titre que sa soeur Françoise, d'Athanase David (1882-1953), secrétaire de la Province sous Taschereau et ministre de la Culture avant la lettre: «Je suis toujours à la recherche de la nature humaine...» Ses préférés: Crimes et châtiments, de Fiodor Dostoïevski; Bataille pour la culture, de Jack Lang, ancien (et spectaculaire) ministre français de la Culture; la biographie de Thérèse Casgrain, «une bourgeoise comme nous», La gauchiste en collier de perles de Nicolle Forget; la biographie de Gabrielle Roy, Une vie, de François Ricard; L'énigme du retour de Dany Laferrière, «éternel» devant les politiciens éphémères.

MAKA KOTTO

La «personnalité psychique» de Maka Kotto, par ailleurs, s'est construite, dira-t-il, sous l'influence contestataire des jésuites français qui lui ont enseigné au Cameroun, son pays d'origine. Personnalité «sérieuse», donc, définie par les titres suivants, les deux premiers d'auteurs politiques martiniquais: Peau noire, masques blancs, de Frantz Fanon et Discours sur le colonialisme, d'Aimé Césaire. Une pièce de théâtre: Jacques oula Soumission d'Eugène Ionesco que Maka Kotto, homme de scène à la base, a mis en scène à Versailles où il a rencontré le célèbre dramaturge. Et le titre qui a défini Maka Kotto comme Québécois parce que c'est le livre qui l'a amené ici: Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, de Dany Laferrière.

FRANÇOISE DAVID

Françoise David, de son côté, ne fait pas de différence entre lectures «sérieuses» et romans, parce que «on peut comprendre le monde autant par un roman que par un essai savant». L'ancienne travailleuse sociale, qui ne lit «pas juste ce qui nous ressemble», a trouvé son compte dans La route d'Altamont de Gabrielle Roy; dans tous les romans, mais surtout les policiers, du Suédois Henning Mankell, décédé en octobre; dans Ce qu'il reste de nous de Monique Proulx, qui «connaît et aime Montréal, ma ville»; dans le temps, dans Amour, colère et folie de la romancière haïtienne Marie Vieux-Chauvet, «une tristesse absolue»; et plus récemment dans Meursault contre-enquête de Kamel Daoud, «la contrepartie de L'étranger de Camus» qui a valu à l'Algérien le prix Goncourt du premier roman 2015.

JEAN-FRANÇOIS ROBERGE

Quant à Jean-François Roberge, lui-même auteur de deux romans pour adolescents - Francis l'intrépide et Francis perdu dans les méandres - il assume totalement ses choix d'enseignant et de lecteur qui cherche son plaisir dans toutes les directions. Parce que «une librairie, c'est comme un buffet chinois, il y a de tout», M. Roberge se promène de L'apprenti sage, un recueil de citations de Gilles Vigneault, par Mia Dumont, à Devenir des AS de Stéphane Paradis, AS désignant ici des «adultes signifiants». Des lectures athlético-historiques aussi: ici, Dépasser l'horizon, de Mylène Paquette qui a traversé l'Atlantique à la rame et qui recevra mercredi la médaille d'honneur de l'Assemblée nationale; là, Alexis le Trotteur ou les trois mourures du cheval du Nord, de Marjolaine Bouchard. Et le top du multidirectionnel: Nouvelle encyclopédie du savoir relatif et absolu de Bernard Werber.

Dis-moi qui tu hantes...

POUR RAIF BADAWI

La dame, menue, est discrète mais sa visite au Salon, hier, n'est pas passée inaperçue. Ensaf Aidar est la femme de Raif Badawi, blogueur saoudien condamné à 10 ans de prison et à 1000 coups de fouet pour propos «blasphématoires». Au kiosque d'Édito, qui a publié le juste titre 1000 coups de fouet, madame Aidar a reçu les encouragements de l'Union des écrivains du Québec, d'Amnistie Internationale et du centre québécois du P.E.N. International.

Réfugiée au Québec en 2013, Ensaf Aidar habite Sherbrooke avec ses trois enfants. Comment ça se passe en Estrie? «Très bien... Les gens nous ont accueillis avec chaleur.»

- Avez-vous senti un changement, envers vous et les vôtres, depuis les attaques de Paris?

- Hum... oui, un peu...

Larry Tremblay, prix 2014 des Libraires du Québec pour L'Orangeraie et porte-parole du programme Livres comme l'air d'Amnistie Internationale, a remis a Mme Aidar un petit cadeau très évocateur: un crayon à mine avec une gomme à effacer... aux deux bouts.

PLATEAU-KATINIK

Éric Blackburn, copropriétaire de la librairie Port de tête, un lieu très fréquenté de l'avenue du Mont-Royal, a monté pour le Salon un inventaire entièrement consacré à l'environnement et à la nature. Imaginez un peu: 1250 titres! «Ça permet aux libraires que nous sommes de nous conforter dans notre rôle de conseillers...» Le monsieur est aussi président de l'Association des libraires du Québec...

Un libraire qui voit large en répondant aussi à la demande d'organisations éloignées des grands centres livresques... Ainsi, Éric Blackburn prendra-t-il bientôt l'avion pour Katinik, dans l'extrême nord du Québec, où la direction de la mine Raglan lui a demandé, pour une deuxième fois, d'organiser un petit salon du livre pour ses 950 employés.

Parmi les 45 tonnes métriques de matériel que le Boeing 737 de Xstrata Nickel transportera cette semaine, quelques dizaines de boîtes de livres venant de Port de tête. En tout, 350 titres et, foi de libraire, pas juste des best-sellers! Mais que du bon à lire pour les longues soirées d'hiver.

Faisait moins 19 Celsius, hier soir à Katinik et, à Montréal, le 38e Salon du livre se termine aujourd'hui.

Image fournie par les éditions Actes Sud

Meursault contre-enquête de Kamel Daoud