Quand, au milieu des années 60, Jeanne Lemire a quitté sa Baie-du-Fève pour monter à Montréal, ses parents n'étaient pas sûrs... La jeune fille, elle, savait que la congrégation des Filles de Saint-Paul allait répondre à ses aspirations d'éducatrice et de propagatrice de valeurs. Elle allait devenir religieuse, oui, mais pas dans les rôles «classiques» d'enseignante ou d'hospitalière.

Pendant des années, elle a fait le tour des écoles avec d'autres Filles de Saint-Paul pour présenter des expositions de livres et des animations littéraires. Il y a 35 ans, elle est devenue  libraire à la libraire Paulines, alors sur la rue St-Denis, une maison dont elle a pris la direction en 1987.  

«En reconnaissance d'une carrière dédiée à la promotion de la lecture et des auteurs», Jeanne Lemire a reçu hier le prix Fleury-Mesplet, décerné par le Conseil d'administration du Salon du livre de Montréal.  

«J'ai toujours considéré ce prix comme un prix d'éditeur : c'est une surprise totale pour moi», nous a dit Jeanne Lemire, rencontrée hier midi au Salon pour une courte entrevue avec une lauréate pas comme les autres...

«J'avais vu ces femmes faire le tour des campagnes avec des caisses de livres et ça m'avait touchée.  Il ne s'agissait pas juste de vendre des livres mais de donner, aux enfants comme aux adultes, le goût de la lecture.»

Aujourd'hui, Jeanne Lemire gère une entreprise sans but lucratif mais qui doit vendre assez de livres pour faire ses frais. «Les livres ne viennent pas gratos : il faut les payer. Et les choisir. Quand on a déménagé à Rosemont, en 2006, on a complètement changé de cap : d'une libraire religieuse, Paulines est devenue une librairie généraliste  avec ce que ça implique de décisions dans une multitude de champs: romans, jeunesse, essais, BD. Il faut de la prudence et de la vigilance.»

Denis Richard est l'acheteur «général» de la librairie Paulines tandis que Mme Lemire s'est gardé les achats «spécialisés», c'est-à-dire l'acquisition de livres religieux. «Oui, le libraire a un rôle de guide mais il faut respecter le choix des gens. On n'est pas là pour censurer...»

La librairie Paulines est d'ailleurs un lieu d'échanges interreligieux fréquenté annuellement par plus de 5000 personnes. «Pendant le festival du monde arabe, souligne Mme Lemire, on a tenu une soirée où il y avait 140 personnes dont la moitié étaient des musulmans.»   

Jeanne Lemire lit de tous les genres mais beaucoup, on le comprend, dans sa «spécialité» qui reste un vaste champ -- religion, spiritualité, oecuménisme, présence laïque, etc. - où tout ne lit pas comme un roman.  Mais il faut «se faire une tête»... Ainsi, un des auteurs  qu'elle fréquente est le théologien allemand  Hans Kung, ancien collègue de Benôit XVI «mis au ban» par le Vatican par qu'il a contesté, entre autres dogmes,  l'infaillibilité du pape.

Son rôle de libraire, elle le reconnaît d'emblée, permet à Jeanne Lemire de rester en phase avec la modernité des idées, des coutumes et des moeurs tout en restant fidèle à sa mission de religieuse. Le libraire de la rue Masson ne porte plus le voile depuis une mèche mais, au fait, l'a-t-elle déjà porté «Oui, et il était long!»

Vers les 19e Prix des libraires

Leméac domine la liste préliminaire du Prix des libraires, annoncée hier, avec trois nominations dans la catégorie Roman québécois: Au beau milieu, la fin de Denise Boucher, Oss d'Audrée Whilelmy et Guyana d'Élise Turcotte, déjà lauréate de Grand Prix du livre de Montréal, décerné lundi dernier.

Après avoir vu Perrine Leblanc remporter mardi le Prix littéraire du Gouverneur général pour son roman L'homme blanc, la jeune maison Le Quartanier continue de son côté son impressionnante poussée avec deux autres nominations: Arvida de Samuel Archibald et Hongrie-Hollywood Express d'Éric Plamondon.

Alto a aussi placé deux romans sur cette liste de laquelle le jury choisira les cinq finalistes que l'on connaîtra fin janvier. Les titres Alto sont Sous béton de Karoline Georges et La marche en forêt de Catherine Leroux.

Les autres titres forts de la saison selon l'Association des libraires sont La main d'Iman de Ryad Assani-Razzaki (Hexagone), La nuit des morts-vivants de François Blais (L'Instant même), Le sablier des solitudes de Jean-Simon DesRochers (Herbes rouges), La patience des fantômes de Rachel Leclerc (Boréal), Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier (XYZ éditeur), finaliste au GP de Montréal, et L'inconnue de Claude Vaillancourt (Québec Amérique).

La comédienne Brigitte Lafleur (Bienvenue aux dames, La Galère, etc.) est la porte-parole de ces 19e Prix des libraires qui seront décernés en mai dans le catégories Roman québécois et Roman hors-Québec dont voici la liste préliminaire:

Roman hors-Québec

Moi, Sabina Berman (Seuil)

La vie très privée de Mr. Sim, Jonathan Coe (Gallimard)

Le passage, Justin Cronin (Robert Laffont)

L'écrivain de la famille, Grégoire Delacourt (JC Lattès)

Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan (JC Lattès)

Room, Emma Donoghue (Stock)

Le cas Sneijder, Jean-Paul Dubois (de l'Olivier)

Les Oliviers du Négus, Laurent Gaudé (Actes Sud)

Une femme fuyant l'annonce, David Grossman (Seuil)

Le juste milieu, Annabel Lyon (Alto)

Du domaine des murmures, Carole Martinez (Gallimard)

La femme du tigre, Téa Obreht (Calmann-Lévy).